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avait cinq blessures, l’une au sein droit, l’autre au sein gauche, deux dans le ventre et la cinquième dans le dos. J’insiste à dessein sur ces détails.

La foule était accourue et avec elle des chaouchs qui se saisirent du meurtrier et le conduisirent chez le hakem de la ville. Les aoulamas s’assemblèrent aussitôt et se constituèrent en tribunal. En moins d’une demi-heure les témoins furent entendus, et le coupable fut condamné à subir la peine du talion de la main du frère de sa victime. Sur un signe du cadi, deux chaouchs lui garrotèrent les poignets avec une corde en alfa, se placèrent l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, et, précédés de l’exécuteur, le conduisirent sur la place du marché, encombrée ce jour-là de deux ou trois mille Arabes. Quelque horrible que dût être le drame étrange qui allait s’accomplir, il était pour moi l’occasion d’une étude curieuse à faire, et je parvins à surmonter l’instinctive répugnance que j’avais eue de prime-abord à y assister.

Quand j’arrivai, les chaouchs, jouant du bâton au milieu de la foule, l’avaient rejetée sur les limites d’un grand cercle autour duquel elle se pressait, et dont le centre était occupé par l’exécuteur et le condamné, l’un son couteau à la main, l’autre calme et comme indifférent à ce qui allait se passer.

Aux termes du jugement, le meurtrier devait mourir d’autant de coups qu’il en avait donnés, et les recevoir dans le même ordre et dans les mêmes parties du corps que les avait reçus sa victime. Quand tout fut prêt, et les préparatifs s’étaient bornés à la simple mise en scène que je viens de décrire, un chaouch leva son bâton : c’était le signal. L’homme au couteau fondit aussitôt sur le patient et le frappa d’abord au sein droit, puis au sein gauche, mais sans atteindre le cœur sans doute, car le malheureux lui criait : « Frappe ! frappe ! mais ne crois pas que ce soit toi qui me tues ; il n’y a que Dieu qui tue ! »

Cependant le supplice continuait avec acharnement, et le supplicié, dont les entrailles s’échappaient avec des flots de sang de deux nouvelles blessures qu’il venait de recevoir dans le ventre, continuait d’injurier son bourreau.

Restait un dernier coup à frapper : le blessé se retourna de lui-même, et la lame du couteau disparut tout entière dans ses reins. Il chancela, mais ne tomba point. « C’est assez ! c’est assez ! cria la foule. Il n’a donné que cinq coups de couteau, et il ne doit pas en recevoir davantage.» L’exécution était en effet terminée, et le malheureux qui venait de la subir eut encore assez de force pour regagner à pied sa maison. Le médecin du consulat, M. Varnier, y arriva presque au même instant, et pendant qu’il rapprochait par la suture