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les lèvres béantes des deux plaies que le malade avait au ventre : « Oh ! je t’en prie, lui disait celui-ci, guéris-moi ! On dit que tu es un grand médecin ; prouve-le : guéris-moi ; que je puisse tuer ce chien ! » Mais tout fut inutile ; le malheureux mourut dans la nuit.

Si le meurtrier est au contraire un homme de grande tente, assez puissant pour que sa tribu ait des ménagemens à garder avec lui, et qu’il refuse le prix du sang, il paiera ce refus tôt ou tard de sa vie, qu’à défaut de la justice la vendetta saura bien atteindre ; mais de sa mort naîtra la guerre, ainsi que je l’ai dit. Les exemples de vendetta que je pourrais citer sont nombreux, et celui qui va suivre, par cela même qu’il est emprunté aux mœurs d’une tribu saharienne, les Chamba, et d’une population du grand désert, les Touareg, séparées l’une de l’autre par un espace de deux cents lieues, donnera une idée plus juste de ces entêtemens de la haine, de cette soif de la vengeance, qui toujours se traduisent par les mêmes actes de violence.

Un parti de Chamba, commandé par Ben-Mansour, chef d’Ouergla, surprit, près du Djebel-Baten, quelques Touareg abreuvant leurs chameaux dans l’Oued-Mia, sous la conduite de Kheddache, chef du Djebel-Hoggar. Une haine implacable et dont la cause première est inconnue, tant elle est ancienne, divise les Chamba et les Touareg ; ces derniers sont d’ailleurs en état perpétuel de vendetta avec les Sahariens, soit parce qu’ils sont Berbères et non pas Arabes, soit parce qu’ils prélèvent un droit de passage sur les caravanes du Soudan.

Un combat acharné s’engagea donc sans préliminaire, et les Touareg furent mis en fuite, laissant morts dix des leurs, au nombre desquels était leur chef, dont ils trouvèrent quelques jours après le corps décapité. Ben-Mansour en avait emporté la tête et l’avait exposée, comme un trophée de sa victoire, sur l’une des portes d’Ouergla. À cette nouvelle, il y eut deuil dans le Djebel-Hoggar, et l’on y jura ce serment : « Que ma tente soit détruite, si Kheddache n’est pas vengé ! »

Kheddache laissait une veuve d’une grande beauté, nommée Fetoum, et un jeune enfant. Selon la coutume, Fetoum devait commander avec l’aide du conseil des grands, en attendant que son fils eût l’âge du pouvoir. Or un jour que les grands étaient rassemblés dans sa tente : « Mes frères, leur dit-elle, celui de vous qui me rapportera la tête de Ben-Mansour m’aura pour femme, » et le soir même toute la jeunesse de la montagne, armée en guerre, venait lui dire : « Demain nous partirons avec nos serviteurs pour aller chercher ton présent de noce. » À la pointe du jour en effet, trois cents Touareg, commandés par Ould-Biska, cousin de Kheddache, se