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des voix nouvelles. Tous se trouvent préparés à la fois, les uns à produire, les autres à écouter. Les trouvères et les troubadours (c’est, comme on sait, le même mot, celui-ci sous la forme provençale, celui-là sous la forme française) pullulent ; les barons et les chevaliers entrent dans la lice du gai savoir, et la poésie reçoit accueil parmi une population se plaisant à entendre dans le langage des vers l’écho de ses croyances, de ses passions, de ses sentimens. Que faut-il penser de tout ceci ? Est-ce caprice de la société féodale ? Et se pouvait-il que ce développement fût ou ne fût pas ? En un mot, y a-t-il là une nécessité historique ou un simple cas fortuit ? Devait-il, à supposer que les circonstances extérieures n’étouffassent rien, surgir une création poétique de toute pièce ? Ou était-il loisible aux imaginations de chercher tout autre aliment, ou même de n’en pas chercher du tout ?

D’ordinaire, ces questions ne sont pas posées, et en effet, pour les poser, il faut que l’histoire commence à être considérée comme un grand phénomène régi par des lois constantes, et où les perturbations, c’est-à-dire le hasard des conjonctures et les volontés individuelles, ont d’autant moins de part, qu’il s’agit de masses plus considérables. Or c’est une loi qu’arrivé à un certain point d’évolution, le génie des nations s’ouvre à l’inspiration poétique ; c’est un fait du moins, car on n’a qu’à repasser en sa mémoire les annales des peuples qui se sont élevés au-dessus de la barbarie primitive, et particulièrement des peuples appartenant au tronc indo-européen et même au tronc sémitique, pour reconnaître qu’ainsi ont été les choses. Et ce fait devient une loi, c’est à-dire quelque chose qui n’est ni accidentel ni fortuit, quand on se rappelle que la faculté du beau est une des facultés primordiales de l’esprit humain.

Il y eut donc à l’entrée du moyen âge une situation analogue à la phase poétique de temps plus anciens, et qui appela l’effusion de l’esprit. Une nouvelle religion avait conquis le monde romain, une nouvelle société s’était organisée, une nouvelle langue se parlait, et tout cela récent, jeune pour mieux dire, encore loin d’aucune maturité, de manière que l’imagination seule pouvait trouver une occupation satisfaisante. Toute une noblesse est là, qui n’a d’autre goût et d’autre gloire que les armes ; à côté d’elle, et, pour mieux dire, au-dessus d’elle, sont ses prêtres, qui, interprètes des commandemens divins, la gouvernent et la dirigent. Elle est pleine de foi, croit sans peine que l’intervention céleste est toujours prête à s’occuper des guerriers braves, des hommes pieux, des femmes saintes. Elle est vaillante, et se met sans effort au-dessus de la foule qui marche derrière elle au combat. Qui ne voit dans ce tableau ressortir les traits d’un second âge héroïque ? Et en effet ce fut une seconde poésie héroïque qui apparut dans l’histoire.