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anglo-indiens. Le ministère anglais est hors état, pour longtemps encore, de se passer de l’assistance de la compagnie ; il connaît de longue date ses qualités et ses défauts, et s’il l’a parfois traitée avec dureté, avec dédain, il a cependant su apprécier ce qu’elle avait de bon, de beau, d’utile surtout ; il a dû aussi la remercier intérieurement plus d’une fois d’avoir écarté de ses lèvres la coupe amère de la responsabilité.

Revenant à l’examen général de la condition de ce vaste empire au moment où le nouveau bill qui doit le régir va être rais en vigueur, constatons qu’en dépit d’un budget en déficit, de guerres coûteuses, de l’imprévoyance inséparable des jugemens humains en fait de gouvernement plus que dans tout le reste, en dépit enfin des menaces de l’avenir[1], les vingt dernières années de l’administration de la compagnie ont été à la période antérieure ce qu’est à une longue nuit d’orage l’aurore d’un beau jour. Et d’abord, pour en finir avec ce qu’il nous est permis de dire ici des ressources financières de l’Inde, rappelons que les véritables ressources de l’Hindoustan, celles qui résident dans la fertilité naturelle de son sol et en général dans sa puissance productive, n’ont été que très imparfaitement exploitées jusqu’à ce jour et commencent à l’être dès ce moment de manière à augmenter rapidement le bien-être des populations et les retenus de l’état. Remarquons en outre que la valeur de l’argent est, relativement aux besoins des masses, beaucoup plus considérable dans l’Inde qu’elle ne l’est en Europe. Dès à présent on peut citer un fait qui semble de nature à convaincre sur ce point les plus incrédules. Si l’on prend pour point de comparaison, entre la valeur de l’argent dans l’Inde anglaise et sa valeur en Angleterre, le prix de la main-d’œuvre dans l’un et l’autre pays, on arrive à ce résultat que la valeur de l’argent est sept fois plus considérable dans l’Inde qu’elle ne l’est en Angleterre[2]

  1. Au nombre de ces menaces de l’avenir, bien des gens rangeraient volontiers une invasion russe. C’est une question que nous avons déjà traitée dans cette Revue (voyez l’Hindoustan, Affaires de Chine, livraison du 15 mai 1840), et sur laquelle nos opinions n’ont pas varié Jusqu’à l’année dernière. La Russie, par son importance géographique, ses ressources et ses tendances naturelles au point de vue ethnographique, est destinée à exercer une influence considérable sur l’Asie centrale et sur l’extrême Orient ; mais, bien qu’elle ait en ce moment, par suite de la fausse position dans laquelle elle s’est volontairement et si témérairement placée, intérêt à menacer les possessions anglaises dans l’Inde, elle nous paraît être dans l’impossibilité de rien tenter de sérieux de ce côté. L’empereur de Russie s’est obstiné à faire de la mauvais e politique, il y a complètement réussie. Désormais la question de l’Inde a pris un aspect fatalement hostile à ses vues et l’alliance intime de la France et de l’Angleterre est une garantie de premier ordre pour la durée de l’empire hindo-britannique. C’est une belle thèse à développer ; nous nous bornons à ces indications générales.
  2. Un indigène employé comme terrassier sur la grande route de poste entre Calcutta et Bombay (ligne de 1,170 milles, ou environ 400 lieues) reçoit en moyenne 3 roupies par mois ou 6 shillings (soit 7 fr. 50 cent, argent de France par mois ou 90 fr. par an) ; la moyenne de la main-d’œuvre en Angleterre étant estimée à 10 shillings par semaine, ou à peu près 26 livres sterling (650 fr.) par an, la proportion est donc en effet celle de 7 : 1.