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Cette poésie est naturellement comparable à ses sœurs aînées, et en particulier à celle qui naquit dans la Grèce primitive, non pas, à la vérité, pour l’éclat immortel, mais du moins pour les conditions d’origine et de prospérité. Les Grecs, ou, pour me servir de l’expression antique, les fils de l’Achaïe, étaient à l’aurore de leur religion, car le polythéisme régulier et supérieur n’était arrivé que depuis peu parmi les populations pélasgiques ; il ni à l’aurore de leur société, car ces petits rois qui gouvernaient n’avaient pas de longues généalogies, et tout aussitôt leur lignage était rattaché aux dieux maîtres du ciel et de la terre. Et quand les chefs grecs (j’allais dire les barons et les chevaliers) se réunirent pour la grande expédition de Troie, ils ne connaissaient pas d’autre gloire que celle des armes. Entre les siècles qui avaient ainsi fondé leur religion, leur société et leurs croyances, et les siècles où les lettres, la philosophie et les sciences allaient fleurir dans leur glorieuse patrie, était un vaste espace de temps libre pour la poésie, aussi disposé à la produire qu’à la recevoir. De même chez nous : entre les siècles qui fondèrent le christianisme et la féodalité, et les siècles qui virent, après la scolastique. l’ample développement des lettres et des sciences, on aperçoit un intervalle vide qui appelait les produits de l’imagination poétique. Voilà ce qui fait la similitude des époques malgré les différences, quoique l’une fût moitié royale, moitié patriarcale, et l’autre féodale ; quoique l’une émanât de tribus barbares civilisées par le théocratique Orient, et l’autre du prodigieux empire fondé par Rome ; quoique l’une eût devant elle la brillante période des Gréco-Romains et une révolution, et l’autre la non moins brillante période des modernes et une révolution qui n’est pas encore terminée.

Le sujet aussi est analogue, non pas que les trouvères se soient aucunement inspirés des souvenirs de la Grèce et de Troie. C’est tout près d’eux qu’ils sont allés prendre leurs inspirations. Charlemagne avait laissé une immense mémoire chez les peuples ; la légende s’était vite emparée de son histoire, et, mêlant des faits plus anciens que lui et des faits postérieurs, elle avait fait de ce prince le défenseur de l’Occident contre l’invasion musulmane, le chef prédestiné qui avait soutenu l’étendard du christianisme contre le croissant il personnage légendaire, ayant ainsi pris la place du personnage historique, devint le thème éternel des trouvères, de même que la guerre de Troie, les mille vaisseaux, Achille et les héros furent le thème des trouvères grecs. L’antiquité en effet avait un nombre considérable de poèmes sur toutes les parties de cette grande légende ; les poètes cycliques l’avaient traitée de mille façons, et l’on peut voir, par les fragmens qui nous en restent, combien la facture de tout cela a de ressemblance avec nos chansons de geste. Seul de cette nombreuse famille, Homère, chanté par les rhapsodes, conservé par