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LE FERMIER.

Oui, mourir ! le courage ici manque au plus ferme.
Vienne l’automne, hélas ! comment payer ma ferme  ?
Ah ! dans ce champ maudit, quand mes mains l’ont bêché.
Sans doute j’arrivais chargé d’un grand péché.

L’AÏEUL.

Non, vivez, ô mon fils, Dieu même vous l’ordonne.
Il rend ce qu’il a pris, il châtie et pardonne.
Dans ce malheur commun, seul, je vois bien ma part  :
C’est à moi de mourir, inutile vieillard.

Le vieillard désolé se tut, car sur sa tête
Dans toute son horreur mugissait la tempête  :
Le tonnerre éclata !… Mais aussitôt dans l’air
Par trois fois l’Angélus tinta paisible et clair ;
Un de ces rayons d’or qui précèdent les anges
Illumina le ciel ; puis, changemens étranges !
Comme il était venu, le nuage pesant
Du côté de la mer et vers l’ouest s’avançant,
On vit, nouveau déluge, on vit ses eaux troublées
Tomber, tomber à seaux dans les ondes salées ;
Tous les monstres marins hors des flots bondissaient.
Et sur les blonds épis les moissonneurs dansaient.

LILÈZ.

« Il faut chanter le blé ! Jeunes gens, jeunes filles.
Élevez sur vos fronts et frappez les faucilles ?
Le blé fait vivre l’homme  : amis, en son honneur
Entonnons devant Dieu le chant du moissonneur.

« C’est un présent divin. Durant les mois de neige.
Dans ses flancs maternels la terre le protège ;
Puis, quand brillent les fleurs, elle montre au grand jour
Celui qu’elle nourrit neuf mois avec amour.

« Un mendiant m’apprit jadis un grand mystère  :
Le grain est fils du ciel, cet époux de la terre ;
Pour le faire grandir tous deux n’épargnent rien ;
Votre enfant le plus cher n’est pas soigné si bien.

« Si la tige au printemps languit frêle, épuisée,
Comme un lait bienfaisant s’épanche la rosée.
Et des souffles légers comme les papillons
La bercent mollement dans le creux des sillons.