Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traité, qui embrasse des sujets très divers et se rapporte à plusieurs catégories d’écrivains, car ce que nous appelons dans notre temps même la littérature latine comprend les livres destinés à enseigner la langue de Virgile et de Cicéron,— les éditions, les commentaires et les traductions en prose et en vers, — les écrits modernes des orateurs ou des savans, — les poésies, les recueils périodiques et les journaux ; mais avant d’arriver à l’époque contemporaine nous croyons devoir jeter un coup d’œil rapide sur les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles pour faire juger, par la comparaison, du progrès ou de la décadence.


I.

La date officielle de la renaissance des études classiques en France doit être fixée, nous le pensons, à l’année 1530, c’est-à-dire au moment où François Ier institua dans l’université de Paris des professeurs royaux pour enseigner les langues mortes, particulièrement la langue latine. En vertu des ordonnances de ce prince, l’usage de cette langue fut seul permis dans les collèges : la philologie fut comptée au nombre des grands intérêts de l’état, et sous l’influence d’une éducation toute spéciale on vit s’épanouir sur le sol de la vieille Gaule toutes les fleurs de la culture romaine. Les trop rares débris de la littérature antique que le temps avait épargnés reparurent au grand jour ; dans les bibliothèques des couvens, Scot et saint Thomas se serrèrent sur leurs vieilles tablettes de chêne pour faire place à Virgile et à Tacite ; les imprimeurs eux-mêmes s’associèrent au labeur sans repos des érudits, et l’infatigable famille des Estienne publia seule pour sa part plus de sept cents éditions grecques ou latines. Les traductions françaises, surtout les traductions des poètes, se multiplièrent dans la même proportion, et souvent les mêmes hommes, après avoir vêtu de la robe française la muse d’Horace et de Lucain, habillèrent leur propre muse de la toge romaine. À côté de la pléiade française, on vit briller dans l’olympe rajeuni une pléiade latine dont les œuvres furent aussi connues de leur temps et peut-être plus admirées que celles des versificateurs qui se servaient de l’idiome national. « Nous avons abondance de bons artisans de ce mestier-là, » dit Montaigne, et à l’appui de cette remarque il suffit de rappeler les noms de Nicolas Rapin, d’Étienne Dolet, de Joachim Du Bellay, d’Édouard Du Monin, de Gabriel de Lerm, de Scévole de Sainte-Marthe, de Muret, de Valerand de Lavarane, de Théodore de Bèze. Il y a là une génération forte, ardente au travail, avide de science, génération d’hommes sévères et désintéressés, un peu bizarres parfois, qui vivent pour lire et pour écrire. Les latinistes traitent la fortune avec la même insouciance que le Limousin Daurat, à qui les vers français, grecs et latins firent au XVIe siècle une grande réputation, et qui, satisfait de sa gloire littéraire et peu soucieux du reste, épousa à la deuxième entrevue une femme qui lui apporta pour toute dot un pâté de pigeons.

L’inspiration de ces versificateurs intrépides s’exerçait sur les sujets les plut variés : De Lerm et Du Monin traduisaient Du Bartas en vers hexamètres ; Passerat chantait la Cigale ; Étienne Dolet, François Ier ; Scévole de Sainte-Marthe, la Pédotrophie ou l’art d’élever les enfant à la mamelle. Ce