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dernier poème, malgré la spécialité du sujet, n’obtint pas moins de dix éditions du vivant de l’auteur. Dans cette renaissance universelle du dactyle et du spondée, le vers latin et même le vers grec circulaient comme une monnaie courante : ils figuraient dans toutes les grandes solennités ; on les plaçait sur les portraits de famille ; on les alignait en sentences morales, comme les quatrains de M. de Pibrac, pour en faire l’antidote de la sottise et de la méchanceté, quelquefois même ils servaient d’armes défensives aux hommes que poursuivaient injustement la haine et la calomnie. C’est ainsi que De Thou, violemment attaqué au sujet de son Histoire universelle, composa pour se justifier un Poème à la postérité dans lequel il trace éloquemment les devoirs et défend de même les droits de l’historien. Ce morceau, d’une portée supérieure, est une grande inspiration de la conscience d’un honnête homme. Il en est de même des deux pièces dans lesquelles Michel de L’Hôpital a traité des devoirs des rois et des devoirs des peuples ; l’une de ces pièces fut composée à l’occasion du sacre de François II, et ce prince l’apprit par cœur pour en avoir toujours les maximes présentes à la mémoire.

Les prosateurs latins ne furent pas moins nombreux que les poètes dans la France du XVIe siècle. La réforme, il est vrai, en adoptant pour se populariser la langue nationale, avait forcé les théologiens catholiques à se servir du même instrument, ce qui francisa la polémique religieuse ; mais la plupart des livres historiques, les traités d’érudition, de science, de médecine, n’en restèrent pas moins exclusivement latins. Tout ce qui date de cette époque porte dans le style une empreinte romaine fortement marquée. Les Grouchy, les Guérente, les Estienne, les Muret, les De Thou, les Buchanan, parlent comme les citoyens du vieux Latium. Le néologisme trahit rarement en eux leur origine nationale, allemande, écossaise ou française, et cette pureté de diction est d’autant plus remarquable, qu’à cette date les livres élémentaires, tout imprégnés de la barbarie scolastique, fourmillaient d’erreurs et de barbarismes, et que les méthodes étaient extrêmement défectueuses.

Si grandes qu’aient été les difficultés, l’instruction n’en était pas moins solide, car tout l’effort de l’intelligence se tournait de ce côté, le latin étant regardé comme la base de l’éducation. Aussi le père de Montaigne, gentilhomme accompli, eut-il soin de l’apprendre à son fils avant même de lui apprendre le français. Il lui donna, en même temps qu’une nourrice, un précepteur allemand qui n’adressait la parole à son élève que dans la langue de Cicéron. À l’âge de six ans, le futur auteur des Essais en était arrivé, « sans fouet et sans larmes, » à parler aussi bien que son maître, et à l’âge de sept ans, il « enfilait tout d’un trait Virgile et l’Enéide, et puis Térence, et puis Plaute. » Combien peu de personnes aujourd’hui, fussent-elles même de l’Académie des Inscriptions, pourraient faire comme le jeune Montaigne !

Les querelles religieuses du XVIe siècle, et, pour nous servir d’un mot du temps, le remuement des guerres civiles, portèrent dans la seconde moitié de ce siècle un coup fatal aux études classiques ; mais Henri IV rétablit l’ordre dans la philologie, comme il l’avait rétabli dans l’état. Il accorda au latin des lettres de sauvegarde, et, pour mettre fin à l’anarchie du barbarisme, il promulgua en 1598 un programme qui défendait aux écoliers et aux maîtres d’employer dans les collèges une autre langue que la langue de Cicéron, et