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qui proscrivait en même temps tous les livres du moyen âge. Grâce à cette réforme, la philologie classique prit un nouvel essor, et elle atteignit dans le siècle suivant à un degré de perfection jusqu’alors inconnu. Les jésuites, les oratoriens, fondés en 1611 par le cardinal de Bérulle, les bénédictins et Port-Royal, contribuèrent surtout au mouvement classique, et les écrivains romains, même les écrivains grecs du règne de Louis XIV peuvent figurer honorablement dans le cortège littéraire du grand roi. Caussin et Porée font jouer des pièces latines au collège Louis le Grand. Petau traduit en vers grecs l’Ecclésiaste et les psaumes. Du Cerceau, Lebrun, Vavasseur, le père Mambrun, mettent en dactyles et en spondées divers livres de l’Écriture sainte et même l’Apocalypse. La muse romaine abjure le paganisme pour chanter sur le mode épique Constantin ou l’idolâtrie vaincue (Idolatria debellata), et le Christ souffrant (Christus patiens). Le père Rapin mérite, par son poème des Jardins et ses Églogues, le nom de second Théocrite. Le père de La Rue consacre aux victoires de Louis XIV et au passage du Rhin un chant héroïque que le grand Corneille reproduit en alexandrins magnifiques, et l’auteur de Polyeucte lui-même célèbre en pentamètres élégans le roi et le cardinal. Voiture fait soupirer l’élégie antique en l’honneur de Mlle de Scudéry, tandis que Santeuil, véritable poète lyrique dans la plus stricte acception du mot, semble retrouver dans ses Hymnes l’inspiration des premiers âges chrétiens. Charles du Perrier, Gilles Ménage, Commire, Étienne Bachot, rivalisent d’atticisme et d’élégance avec les écrivains que nous venons de citer, et, suivant Goujet, le père Brumoy, dans son Poème sur les Passions et ses Épitres des Morts, approche souvent de la mâle vigueur de Lucrèce. Les prosateurs ne sont pas moins remarquables que les poètes. Les préfaces du Glossaire de Du Cange et des Actes des saints de l’ordre de saint Benoit, la Correspondance de Mabillon, les écrits de Rollin, ceux de Huet, évêque d’Avranches, les traités de Bossuet, font véritablement du XVIIe siècle un second siècle d’Auguste, et il est hors de doute que la connaissance parfaite de l’antiquité a contribué puissamment à former ce grand style dont le secret semble perdu sans retour.

Les traducteurs de la même époque sont inférieurs, et de beaucoup, aux poètes et aux prosateurs. Tandis que les écrivains originaux excellent à faire passer dans notre langue, par d’admirables imitations, les beautés de la littérature antique, les traducteurs au contraire semblent les défigurer à plaisir. Ils n’ont plus, comme au siècle précédent, ces mots pittoresques qui reflètent souvent avec une vivacité singulière les grandes images de l’idiome romain. À part le Quinte-Curce de Vaugelas, il n’existe guère au temps de Pascal et de Racine que des traductions défectueuses, qu’on a singulièrement flattées en les appelant de belles infidèles. La plupart sont ridicules par la manie qu’avaient les auteurs d’effacer complètement l’empreinte latine, et de donner à toutes choses une tournure exclusivement française. Les héros de l’histoire romaine, comme les Romains du théâtre, portent l’habit à grandes basques et la perruque à marteaux. Perrot d’Ablancourt fait figurer dans Tacite des mestres de camp et des colonels. Guyot, de Port-Royal, appelle Trebatius M. de Trébace, et Pomponius M. de Pomponne. Il introduit dans la correspondance de Cicéron toutes les formules de la politesse moderne,