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contemporaines, en s’étendant pour la première fois à cette limite extrême, ont acquis un intérêt nouveau. Sous le rapport littéraire, la période comprise entre Adrien et Grégoire de Tours n’a sans doute qu’une valeur très secondaire : les esprits créateurs ont disparu, la langue s’est énervée, les rhéteurs, les versificateurs et les compilateurs ont remplacé les orateurs, les poètes et les historiens ; mais comme à toutes les époques de crise intellectuelle, à défaut des grandes conceptions originales, il y a les recherches érudites, les résumés, les encyclopédies (on dirait que la civilisation antique, près de disparaître, dresse pour la postérité l’inventaire de sa science), puis à côté des écrivains spéciaux, géographes, cosmographes, médecins, agronomes, vétérinaires, architectes, etc., on trouve les derniers annalistes de Rome, les historiens des invasions et les premiers apôtres de la foi. Cette voix qui courait le long de la mer Egée : les dieux s’en vont ! le grand Pan est mort ! retentit comme un écho mystérieux dans les écrits des derniers défenseurs du paganisme, tandis que la religion nouvelle apporte au monde, avec le sentiment de l’infini, la conscience et la pitié, des sources d’inspirations jusqu’alors inconnues. On comprend dès lors l’intérêt qui s’attache à cette décadence elle-même, et quel profit on peut tirer pour l’histoire de l’étude approfondie de cette époque.

Malgré les imperfections assez nombreuses que nous avons dû relever, les travaux de traduction ont eu de notre temps une importance réelle. L’attention du public s’est portée sur des auteurs qui étaient restés jusqu’alors dans le domaine de l’érudition pure. Les textes, mieux compris, ont été plus fidèlement rendus, surtout en ce qui touche les mœurs, les usages et l’exactitude historique, et les traducteurs, tout en se montrant plus exacts, ont réussi souvent à parler français, ce qui n’est pas une des moindres difficultés de ce genre de littérature.


IV.

Autant la version est restée populaire, comme le prouvent les nombreuses traductions qui ont été faites dans ces dernières années, autant le thème et les vers latins sont déchus de leur ancienne importance. À part quelques traités de théologie à l’usage des séminaires, quelques nomenclatures d’histoire naturelle, on n’écrit guère en latin que dans des cas de force majeure, pour céder à la tyrannie de l’usage ou obéir aux règlemens universitaires, comme par exemple lorsqu’il s’agit de la harangue traditionnelle du concours général ou d’une thèse de faculté. Cette belle langue n’est plus même employée que très rarement là où elle devrait régner sans partage : nous voulons parler des notes qui accompagnent les textes. Il est à regretter que les éditions variorum se perdent chez nous comme dans le reste de l’Europe, car les classiques de l’antiquité appartiennent au monde entier, et en les annotant dans l’idiome qu’ils ont employé eux-mêmes, on les rend accessibles aux lecteurs de toutes les nations. Aujourd’hui nous ne connaissons guère que M. Boissonnade qui soit resté fidèle, non-seulement dans les préfaces et les dissertations érudites, mais même dans ses correspondances intimes, à la langue de Cicéron. Sous le rapport de la correction, de l’élégance et du cachet vraiment romain, la latinité de M. Boissonnade ne le cède en rien à