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celle des meilleurs écrivains des XVIe et XVIIe siècles, et nous citerons comme preuve la traduction des Fables de Babrius, dont le texte grec a été retrouvé dans le couvent du Mont-Athos par M. Minoïde Minas.

À de rares exceptions près, le latin du XIXe siècle est une langue tout à fait à part, qui n’est ni antique ni moderne, et qui se compose en général de centons empruntés aux écrivains de la vieille Rome et de périphrases péniblement contournées. On dira sans doute que notre époque a bien autre chose à faire que des thèmes, mais nous répondrons que si l’on apprend le latin pour ne point le savoir, il est inutile de l’étudier. Nous sommes complètement de l’avis d’un membre de l’Institut, M. Rossignol, qui, dans les notes d’un poème dont nous allons dire un mot, soutient cette thèse, à savoir que dans l’acquisition du matériel d’une langue l’usage parlé joue un rôle moins important qu’on ne le croit en général, et que c’est surtout par l’étude approfondie de la grammaire et des bons écrivains que l’on parvient à l’écrire correctement. À l’appui de cette opinion, M. Rossignol cite quelques exemples qui prouvent que dans les temps les plus tristes de la décadence, les rares écrivains qui échappèrent à la contagion de la barbarie employaient pour apprendre la langue littéraire les mêmes procédés que nous, l’étude des modèles, par exemple. Malheureusement aujourd’hui ces procédés sont un peu négligés, et c’est ce que prouve trop souvent la langue que parlent les orateurs latins de nos distributions des prix.

Quoi qu’on en ait dit des harangues romaines des concours, c’est là un usage que nous ne saurions blâmer, car nous pensons que les grands corps de l’état doivent avoir, comme le peuple lui-même, le respect de leurs traditions. En général, les harangues latines du concours ne se distinguent point par l’originalité du fonds, mais on y trouve une ordonnance fort régulière et surtout de bons sentimens. Nous avons remarqué, dans le nombre, les discours de M. Villemain et de M. Naudet, l’un sur la nécessité de posséder la littérature ancienne pour devenir bon écrivain, et l’autre sur la religion considérée comme base de l’instruction publique. Le choix du sujet ayant été laissé longtemps aux professeurs, on en vit quelques-uns sortir brusquement de la sphère des traditions universitaires, et se laisser entraîner au courant des idées romantiques, ce qui motiva, en 1847, de la part de M. de Salvandy, alors ministre de l’instruction publique, un arrêté portant qu’à l’avenir le discours aurait exclusivement pour objet la vie d’un homme célèbre cher à l’Université par ses travaux ou ses services, professeur, recteur, grand-maître ou ministre. Depuis ce temps on est toujours resté dans le programme ; chaque année, les mêmes applaudissemens saluent les mêmes périodes cicéroniennes. Seul entre tous, le journal l’Univers mêle aux bravos classiques l’amertume de sa critique, et s’attache à démontrer, d’après le procédé de M. de Scudéry, que le sujet du discours ne vaut rien du tout, qu’il choque les règles de l’art oratoire, qu’il manque de jugement dans la conduite, qu’il contient beaucoup de gallicismes, et qu’ainsi l’estime qu’on en fait est très injuste. Il est possible que l’Univers soit fort en thème, mais à coup sûr il n’est pas fort sur l’histoire de la langue latine, car dans l’examen de l’un des discours qui nous occupent, il parle très sérieusement de l’emploi que Cicéron faisait des virgules.

À côté du discours latin de la distribution des prix se placent les thèses