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temps. Ce triste événement les a plongés dans une incertitude qui les honore, car elle prouve qu’ils avaient pris très au sérieux les idées qu’ils avaient professées jusqu’alors. Les uns en sont arrivés à renier ce qu’ils avaient adoré, les autres ont fait des efforts étonnans pour croire aux choses qui jusqu’alors n’avaient jamais été croyables pour eux. Nous avons vu des protestans devenir semi-catholiques, des incrédules devenir catholiques de pied en cap, et des libéraux crier à tue-tête leurs vivats en l’honneur du principe d’autorité. Il est inutile de citer des noms, mais on peut dire que ceux qui sont restés fidèles à leurs anciennes idées sont précisément ceux qui avaient toujours fait preuve de vues honnêtes, mais bornées, et d’intentions droites sans doute, mais assez peu élevées. Les autres ont essayé loyalement de découvrir une explication des événemens en se formant de nouveaux systèmes ; chaque jour voit tomber une vieille conviction, qui jusqu’alors avait résisté. Quant à ceux qui sont plus jeunes, on peut dire qu’ils appartiennent à peine à leur temps ; ils peuvent en voir les vices, en connaître les plaies, mais généralement ils ne vivent pas de sa vie. Presque tous vivent en arrière, dans le passé où ils se sont choisi un asile. Celui-ci aurait préféré vivre au XVIIe siècle, celui-là au XVIe Ils vivent ainsi, isolés au milieu de leurs contemporains, d’une vie rétrospective et de contemplation, agréable peut-être, mais en tous cas inutile et oiseuse.

La révolution de février a eu encore un autre résultat : elle a jeté le discrédit sur tout ce qui est intelligence et talent. Une foule d’honnêtes gens se sont persuadé que cette révolution avait eu pour cause l’excès de lumières qui régnait en France au bon temps du régime constitutionnel, tandis qu’au contraire elle est due à l’insuffisance de lumières et chez le public et chez ceux même qui s’étaient chargés de le guider. La révolution de février est l’exemple le plus remarquable de ce que peut devenir une société laissée sans direction morale, et dont on ne s’occupe pas incessamment. Avec cette révolution a disparu ce qui restait de croyances aux idées et de respect pour l’intelligence humaine. Ceux qui croyaient à la puissance de l’opinion n’ont plus voulu dès lors croire qu’au hasard, et ceux qui avaient des intérêts à protéger n’ont plus voulu croire qu’à la force. La force et le hasard ! voilà les dernières divinités auxquelles nous ayons érigé des autels ! Dans une société qui s’est formé une pareille religion politique, les hommes qui possèdent encore quelque talent et quelques lumières doivent s’attendre à se voir de plus en plus dédaignés et méprisés, repoussés d’en haut, d’en bas, de tous côtés : ils sont trop gênans pour être acceptés. Qu’ils ne se découragent pas cependant, et, quoique leur rôle soit ingrat, qu’ils parlent, et qu’ils