Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclater ? Non, certes : chaque peuple est bien libre et a son développement particulier ; mais ce n’en est pas moins un malheur pour un pays que son histoire devienne un embarras dans les momens où s’agitent les intérêts généraux les plus élevés, et soit en contradiction avec ces intérêts mêmes. Il y a quelque temps, un général espagnol qui est en Orient, et dont le libéralisme est des plus tranchés, déplorait avec amertume que l’Espagne ne pût avoir son rôle dans la croisade actuelle de l’Europe. Il sentait quelle impuissance faisaient à la Péninsule ses querelles intérieures. Tel est en effet le résultat d’événemens du genre de ceux qui viennent de s’accomplir : ils séquestrent un pays du mouvement général des affaires de l’Europe, et par les questions qu’ils posent, par les perspectives qu’ils ouvrent, ils sont une complication de plus au milieu de tant d’autres complications auxquelles les grands gouvernemens ont à faire face. Unies en Orient, l’Angleterre et la France ne se sépareront pas sans doute dans leur système de conduite vis-à-vis de la Péninsule. Aujourd’hui donc, comme en 1840, les affaires orientales et les affaires d’Espagne ont de secrets rapports et une connexité qui naît des circonstances. C’est dans ce double ordre de faits que se concentre pour le moment tout l’intérêt politique et que se résume l’histoire de ces derniers jours.

À vrai dire même, de ces deux questions si diverses qui sont venues se mêler si inopinément, la plus grave, celle qui reste toujours la première, la question d’Orient, n’est point aujourd’hui la plus fertile en péripéties. L’aspect des choses a peu changé en effet depuis quelque temps. Dans l’état où est parvenue cette redoutable affaire, il y a plus de symptômes à observer, plus de doutes à éclaircir que de faits saillans à constater, et peut-être le procédé le plus sûr est-il encore de chercher à se reconnaître au milieu d’une situation où tant d’élémens viennent se rejoindre, qui implique tant d’actions diverses, et où l’intérêt se déplace en raison même de l’immensité du théâtre des événemens. Quelle est donc en ce moment la part de chaque pays engagé dans cette crise ? À travers les incertitudes d’une guerre compliquée, il y a un fait avéré : c’est le progrès constant des armées de la Turquie. C’était assurément un avantage considérable d’avoir résisté victorieusement dans Silistria, et de n’avoir laissé aux Russes d’autre alternative que de lever précipitamment le siège de cette place. L’armée ottomane ne s’est point arrêtée là ; elle a marché en avant et a tenté le passage du Danube en face de Giurgevo. Encore une fois la fortune ne lui a point été infidèle, et la ville de Giurgevo est restée entre ses mains après une lutte opiniâtre où l’armée russe a éprouvé des pertes considérables. Le résultat a été la retraite des soldats du tsar ; mais ici se présente une autre question : quel est le véritable caractère des opérations de l’armée russe dans les principautés ? Se retire-t-elle vers la Moldavie pour s’y concentrer et attendre les événemens ? Ses échecs répétés, l’approche des armées alliées de la France et de l’Angleterre qui s’avancent vers le Danube, la perspective d’une intervention prochaine de l’Autriche, ne semblent guère de nature à lui permettre un nouveau mouvement d’offensive. Si la retraite vers la Moldavie paraît cependant une des conditions de sa sécurité stratégique, il faut dire que politiquement le tsar se montre peu disposé à abandonner la Valachie, qu’il a occupée jusqu’ici. Rien n’est plus instructif sous ce rapport qu’une lettre adressée par M. de Nes-