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selrode à M. de Budberg, commissaire impérial dans les principautés, et que ce dernier a été chargé de lire aux boyards de Bucharest. La politique obstinée de la Russie s’y révèle avec une naïveté singulière. Il en résulte que l’empereur Nicolas veut sauver les Valaques de la domination turque même malgré eux. Si les Valaques influencés Par l’Europe, « adonnée aux fausses croyances, » ne comprennent pas cela, le tsar ne peut néanmoins renoncer à la mission qu’il a reçue du ciel, et qui consiste à « soustraire pour toujours à la souveraineté ottomane ceux qui professent la véritable religion chrétienne. » Cette mission, le tsar la remplira, « quoi qu’en puissent dire les états impuissans de l’Europe. » — « Soyez sévère contre ces Valaques anarchiques, » poursuit M. de Nesselrode. Cela peut, ce nous semble, donner une idée du degré de popularité dont jouit la Russie dans la Valachie et de l’étrange illusion que se fait une politique ambitieuse. C’est toujours d’ailleurs la même pensée secrète de domination, décorée d’une couleur religieuse, contre laquelle l’Europe s’est soulevée tout entière.

Associées moralement, diplomatiquement à l’Angleterre et à la France dans cette politique de résistance, l’Autriche et la Prusse tarderont-elles maintenant à se prononcer d’une manière plus décidée ? Tout indique une résolution prochaine ; mais cette résolution n’est point encore traduite en fait, et tant qu’il n’en sera point ainsi l’incertitude pourra subsister. La réponse de l’empereur Nicolas à la note austro-prussienne ne laisse point cependant d’autre issue à l’Autriche qu’une intervention directe. De quelque manière qu’on la commente et qu’on l’interprète, en réalité c’est toujours un refus de se rendre à l’invitation des gouvernemens allemands. Le cabinet de Vienne ne méconnaît pas la situation qui lui est faite par cette réponse plus qu’évasive du tsar. Seulement il a voulu une dernière fois encore renouveler à la Russie l’invitation plus formelle d’évacuer purement et simplement les principautés. L’Autriche avait eu un moment la pensée de provoquer une réunion nouvelle de la conférence de Vienne. Ce projet a été abandonné, et quoi qu’il en soit désormais, c’est à la fin d’août que l’armée autrichienne semble devoir définitivement entrer dans les provinces danubiennes. Il ne faut point oublier du reste que, si l’Autriche est par elle-même une puissance agissant avec réserve et lenteur, sa politique doit avoir doublement ce caractère aujourd’hui, puisqu’elle a cette fois à régler son pas sur celui de la Prusse. Or la politique prussienne n’a point malheureusement réussi jusqu’à ce jour à se dessiner d’une manière fort nette. Ce que veut la Prusse, il serait difficile de le dire. Elle ne veut point incontestablement se séparer de l’Autriche, avec laquelle elle est liée par la convention du 20 avril, et des puissances occidentales, auxquelles elle se rattache par les protocoles de la conférence de Vienne ; mais elle ne voudrait pas non plus se séparer de la Russie. De là ses tergiversations, de là les plus ingénieux efforts pour arriver à découvrir dans les communications du tsar quelque velléité de conciliation qui puisse servir à renouer quelque négociation. Elle n’a pu jusqu’ici persuader l’Autriche, — elle ne s’est pas bien persuadée elle-même peut-être des dispositions pacifiques de l’empereur Nicolas, puisqu’elle fait quelques préparatifs militaires. La Prusse croira encore à la paix, même quand elle sera engagée dans la guerre, quand les événemens la presseront, quand l’Autriche, franchissant la fron-