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Maintenant, comment a pu se produire un tel état de choses, lorsqu’il y a quelques années à peine l’Espagne conservait une paix presque glorieuse au milieu des bouleversemens de l’Europe ? C’est le côté le plus triste de cette liistoire. Il faut bien le dire, c’est un peu l’œuvre de tout le monde, du gouvernement et des partis. La vérité est que depuis la chute du général Narvaez la Péninsule est engagée dans cette fatale voie au bout de laquelle elle trouve la crise actuelle. Le tort des cabinets qui se sont succédé depuis trois ans a été de tenir sans cesse le pays sous la menace de coups d’état qu’ils n’avaient pas le pouvoir d’accomplir, que rien n’expliquait d’ailleurs dans la situation de l’Espagne. À cela sont venus se joindre ces malheureuses questions de l’intervention de la reine Christine dans les affaires, des influences de palais, de la moralité administrative. De tous les cabinets que pouvait choisir la reine Isabelle, le dernier, celui du comte de San-Luis, était certainement le moins propre à relever l’autorité du gouvernement et à replacer l’Espagne dans des conditions normales. Il n’a fait qu’ajouter à l’exaspération des passions sans avoir la force de les contenir ; il a accumulé les griefs. Nous ne dissimulons pas, on le voit, la part du gouvernement ; mais en même temps quelle a été la conduite des partis ? L’opposition modérée, qui a été la plus vive dans ces derniers temps, a-t-elle attendu la menace de coups d’état ou la présence du comte de San-Luis au pouvoir pour se manifester ? Elle existait déjà sous le général Narvaez, elle a contribué à sa chute. On n’a pas oublié l’hostilité tracassière que rencontrait le duc de Valence parmi quelques généraux du sénat. Cette opposition n’a fait que grandir et se développer ; les nuances se sont multipliées à mesure que les cabinets se succédaient. Le parti modéré espagnol, on peut le dire, a mis depuis quelques années une véritable passion à se dissoudre. Et qu’en est-il résulté ? C’est qu’aujourd’hui une fraction de ce parti s’occupe à faire la guerre à ses opinions, à son passé, à ses antécédens, à son œuvre de dix ans. Elle a cru travailler pour elle-même, elle a travaillé au triomphe du parti progressiste, dont elle est réduite à arborer les principes dans la conflagration actuelle. Ce n’est plus de la constitution de 1845 qu’il s’agit ; on parle de la congtitution de 1837, du réarmement des milices nationales. Le général O’Donnell se fût dispensé sans doute d’aller jusque-là ; il y a été conduit parce qu’on n’arrête pas les révolutions à volonté, et ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’une portion notable du parti progressiste lui-même se fût dispensée de revenir à tous ces programmes d’autrefois, si tant est qu’ils suffisent désormais à des opinions plus avancées. Voilà comment se trouve menacée, sans qu’on l’ait voulu peut-être, l’œuvre de pacification accomplie au-delà de Pyrénées pendant ces dix ans.

Mais enfin les événemens se précipitent, la crise qui agite la Péninsule, quelles qu’en soient les causes, a pris une redoutable intensité. Où aboutira-t-elle aujourd’hui ? Quel sera son dénoûment ? Portera-t-elle atteinte à la monarchie, à la dynastie actuelle, à l’organisation politique tout entière de l’Espagne ? S’agit-il simplement de la substitution d’un système d’administration intérieure à un autre système ? Voilà les questions qui se pressent et auxquelles les faits ne i)euvent tarder de répondre. Il y a sans doute au-delà des Pyrénées une foule d’esprits troublés, — et le nombre s’en est accru dans