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partis, de tous les antagonismes personnels possibles. Espartero est aujourd’hui à Madrid ; on ne peut donc tarder de savoir quel système va être appliqué. La vérité est que, même après les derniers événemens, quels que soient les hommes qui arrivent au pouvoir, il n’y a que les idées constitutionnelles modérées qui puissent offrir à la Péninsule la garantie d’un régime régulier et durable.

Il ressort malheureusement de cette palpitante histoire un problème qui ne s’applique pas seulement à l’Espagne. Est-il donc si difficile pour un pays de s’asseoir dans un milieu juste et fécond, entre l’excès de ces mouvemens anarchiques et l’excès des pouvoirs enivrés ou aveuglés ? Toutes ces forces si inutilement consumées dans des agitations stériles, est-il donc si impossible de les ramener à un paisible exercice de tous les droits dans les limites d’institutions vigoureuses et durables ? Ce problème n’est point sans doute si facile à résoudre, puisque si peu de nations l’ont résolu, puisqu’il est tant de pays encore où partis et gouvernemens mettent sans cesse une émulation singulière à recommencer la même histoire pour aboutir aux mêmes résultats. Cet ordre dans la liberté qui dans la sphère politique correspond à ce qu’est dans la sphère morale l’alliance du devoir et du droit, tout le monde le cherche ; beaucoup espèrent le trouver et imaginent avoir résolu le problème en modifiant les institutions périodiquement. On ne voit pas que par là on n’arrive qu’à donner aux institutions un caractère complètement transitoire, adapté à la disposition du moment. Si c’est un goût de liberté qui l’emporte aujourd’hui, on aura une constitution libérale, plus que libérale même parfois. Si au contraire ce qui domine, c’est la haine des révolutions, l’amour du repos, on ira s’asseoir à l’ombre des constitutions autocratiques, et toujours on parcourra ce même cercle, jusqu’à ce que le caractère et les mœurs d’un peuple deviennent la garantie véritable d’institutions assez larges pour comprendre tous les besoins.

La France a passé plus d’une fois déjà par toutes ces épreuves diverses. Moins préoccupée aujourd’hui de sa propre vie politique, elle suit attentivement les scènes de l’Espagne, ou s’absorbe dans les événemens extérieurs auxquels elle prend part, et c’est à peine s’il reste la trace fugitive d’un mouvement intérieur. Au milieu d’un travail politique peu actif, d’un monde que l’été disperse quand il finit par arriver, ce sont les préoccupations d’un autre ordre qui régnent et se succèdent. Ce n’était point, après tout, d’un intérêt entièrement vulgaire que de savoir, il y a quelques jours encore, si la saison cesserait d’être rigoureuse et variable. C’était la question de l’approvisionnement du pays, de l’alimentation publique après la pénurie du dernier hiver. Il s’agissait de savoir si ces récoltes achetées par un an de travail mûriraient dans nos campagnes et pourraient être recueillies. Un rayon de soleil est venu heureusement résoudre ces doutes. Bien qu’il y ait peu de questions intérieures d’ailleurs, cela veut-il dire que cet intime mouvement d’une grande société soit complètement suspendu ? S’il est peu apparent, dans le fond il se poursuit, recommence et se renouvelle sans cesse en se transformant. Il embrasse tout, les intérêts de l’intelligence aussi bien que les mœurs, le travail des idées aussi bien que le travail des choses pratiques. C’est l’éternelle histoire d’un pays où les souvenirs du passé se mêlent aux spectacles du présent.