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puis- occidentales. À la paix, la Russie ne rentrera plus dans le statu quo d’où elle a voulu sortir ; elle ne recouvrera point ses anciens traités avec la Porte ; on ne lui permettra plus de garder à Sébastopol cette position militaire et ces flottes avec lesquelles elle a pu menacer à chaque instant la sécurité de Constantinople et l’existence de la Turquie. Cette déclaration de lord John Russell a produit sur la chambre des communes une sensation profonde ; c’était l’assurance que réclamait impatiemment l’opinion publique. Certes, dans l’état où sont les choses, il était manifeste pour tout le monde que la France et l’Angleterre ne peuvent point abandonner cette guerre sans réduire, au moins pour longtemps, la Russie à l’impuissance de rien tenter contre la Turquie et de troubler le repos de l’Europe ; mais entre une prévision qui flotte dans les esprits et un engagement officiel pris par un grand gouvernement vis-à-vis de l’opinion, la différence est immense. Il y a dans les affaires politiques des conséquences et des perspectives que la plus simple prudence commande de laisser dans l’ombre et de réserver, tant que l’on peut espérer que la conduite des hommes ou des gouvernemens avec lesquels on traite dispensera d’en venir à ces extrémités terribles. C’est ce qui rend si grave la déclaration de lord John Russell, ce qui en fait le point de départ d’une situation nouvelle et caractérisée. Aujourd’hui le mot fatal est prononcé : on sait maintenant ce que l’on veut et où l’on va. Il n’y a plus d’illusion possible, plus d’incertitude, plus d’espérance vague. Personne en Europe ne peut plus songera un replâtrage ; personne, suivant le mot énergique des ministres anglais, ne peut plus compter sur une paix bâclée. La Russie ne peut plus fermer les yeux sur l’inévitable amoindrissement où la conduit la poLItique de l’empereur Nicolas ; nous-mêmes, France et Angleterre, nous ne pouvons plus nous méprendre sur le caractère de cette lutte. Il s’agit pour nous, non plus de contenir la Russie, mais de lui arracher des conquêtes qui datent de Catherine, non plus d’arrêter ses envahissemens, mais de lui faire rebrousser un siècle de son histoire. La tâche que nous entreprenons est une des plus difficiles et des plus vastes ; mais quand on conduit vers une œuvre pareille deux peuples comme l’Angleterre et la France, il faut dès le début la leur montrer dans toute sa grandeur et s’adresser avec franchise à leur courage. C’est ce que lord John Russell a fait lundi dernier, aux applaudissemens de la chambre des communes.

La troisième portion du discours de lord John Russell que nous relèverons est celle où il a parlé du rôle et de la coopération de l’Autriche dans cette guerre. Ce passage du discours de lord John est moins important par ce qu’il a pu apprendre au public sur les dispositions de l’Autriche que par le débat qu’il a soulevé sur la question de l’alliance autrichienne. Tout en rendant justice au concours moral que l’Autriche a prêté jusqu’ici à la politique des puissances occidentales, tout en reconnaissant les nécessités particulières de position qui l’ont empêchée de nous accompagner sur le terrain de l’action, tout en exprimant la crainte qu’elle ne fut pas à bout de patience vis-à-vis de la Russie, et qu’elle pût prolonger encore quelque temps les hésitations apparentes et les lenteurs de sa politique, lord John Russell a déclaré formellement qu’il ne doutait point que l’Autriche ne remplit ses engagemens et ne se réunit à nous contre l’envahisseur de l’empire ottoman. Lord Cla-