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suite les puissances occidentales venaient ajouter la question des nationalités et le remaniement de toute l’Europe à la question d’Orient, dans quel chaos, et pour combien d’années, l’Europe ne serait-elle pas plongée ! et quels ne seraient point les hasards et les périls de la lutte ! Les libéraux de l’Europe, aussi sympathiques aux nationalités que M. Cobden, mais plus logique que lui, voulant la fin, doivent vouloir les moyens. La fin, c’est l’affaiblissement de la Russie ; les moyens les plus prompts et les plus sûrs sont dans l’alliance et la coopération de tous les états que l’Occident pourra enrôler dans sa cause. Ils savent bien que le résultat de cette guerre ne peut qu’être utile aux idées généreuses qui les animent, et que l’abaissement de l’autocratie russe sera pour la liberté européenne une des victoires les plus fécondes qu’elle puisse poursuivre.

M. Layard a éloquemment et spirituellement réfuté quelques-uns des sophismes de M. Cobden. À ces déclamations de M. Kossuth, dont M. Cobden venait de se faire l’écho, M. Layard répondit par un souvenir saisissant. « Quand l’honorable membre cite le nom de M. Kossuth, je ne peux oublier, dit M. Layard, la position où s’est trouvé, il y a quelques années, le grand chef hongrois. Il vint en Turquie, en fugitif, demander une protection qui lui fut donnée. Il doit, dans toute l’étendue du mot, la vie à la Porte, et je crois que dans ce temps-là M. Cobden écrivit lui-même à la Porte que si le gouvernement ottoman persistait dans la protection qu’il accordait aux Hongrois, la Turquie aurait toujours en lui un défenseur. On voit comment l’honorable membre tient sa promesse ! » Cependant M. Layard, par des raisons plus spécieuses, mais que nous ne croyons pas plus solides, est arrivé à la même conclusion que M. Cobden contre l’alliance autrichienne. Suivant lui, la neutralité de l’Autriche eût été préférable à son concours actif. « Sa coopération, incertaine jusqu’à présent, ralentit et paralyse nos efforts dans cette première campagne ; à la conclusion de la paix, elle deviendra un embarras, parce que l’Autriche ne voudra pas imposer à la Russie des conditions aussi dures que celles que nos intérêts nous prescrivent de lui infliger. » Aucune de ces considérations ne nous paraît fondée. Avant tout, un fait nous semble déterminer la véritable importance du concours de l’Autriche, ce sont les efforts de la Russie pour la maintenir dans la neutralité. La neutralité autrichienne est un intérêt russe, la mission du comte Orlof et les dernières tentatives du prince Gortchakof l’indiquent assez. La neutralité de l’Autriche, il suffit de regarder la carte pour en être convaincu, c’était pour la Russie la sécurité de son champ de bataille dans les principautés ; avec l’hostilité déclarée de l’Autriche, on ne tardera pas à le voir, les Russes ne peuvent plus occuper la Moldavie et la Valachie. Une impatience légitime dans le sentiment qui l’inspire, mais peut-être un peu puérile, se plaint des lenteurs que nous communiquent les incertitudes apparentes de l’Autriche ; mais qui peut douter du dommage bien plus grave que ces incertitudes seules ont fait aux Russes ? Ne sont-elles pas la cause principale du décousu et de la confusion des plans de campagne du prince Paskéwitch et du prince Gortchakof ? On se trompe d’ailleurs, si l’on croit que c’est la pression de la France et de l’Angleterre qui a fait sortir l’Autriche de la neutralité. On ne peut rester neutre dans la question qui s’agite sur les