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troubadours eux-mêmes sont les descendans directs des poètes érotiques latins dans ce qu’ils ont de plus positif, et les lettres tant vantées d’Héloïse pourraient bien n’être après tout qu’un simple jeu d’esprit, un roman fait à plaisir comme l’histoire du sire de Coucy et de la dame de Fayel. M. Guizot a dit avec raison que les hommes du vieux temps, pour échapper aux souffrances d’une société incomplète et barbare, se créaient dans les légendes pieuses un monde idéal auquel ils demandaient tout ce qui manquait à leur vie. On peut croire de même que quelques esprits délicats, pour se consoler du spectacle de la réalité, se sont créé par exception des utopies sentimentales, et que la tendresse épurée de certaines œuvres littéraires, poésies ou romans, n’est dans le passé que la légende de l’amour. Au XVIe siècle, c’est-à-dire durant la période à laquelle appartiennent la plupart des pièces qui nous occupent, le matérialisme des sens est, s’il se peut, plus grand encore que dans le cœur même du moyen âge. Brantôme, Rabelais et Montaigne sont les véritables peintres des mœurs de cette époque, et l’on sait en quels termes ils ont tous trois parlé des femmes et même du mariage. Montaigne en effet répète avec l’originalité saisissante de son style et de sa pensée ce que les auteurs des farces ont répété cent fois dans un langage cynique et trivial. Les casuistes sont en ce point d’accord avec les railleurs, et dans le XVIIe siècle encore Pascal lui-même, subissant l’influence de cette double tradition, déclare que le mariage est la plus basse des conditions du christianisme.

Quelquefois la farce n’est qu’un proverbe en action, comme celle du Goutteux, qui offre le développement de ces deux vers :


Il n’est point de plus mauvais sourds
Que ceux qui ne veulent ouyr.


On voit dans cette bouffonnerie un valet, auquel son maître impotent demande un médecin, aller chercher, au lieu d’un docteur, les Chroniques de Gargantua, et lui ramener ensuite, au lieu d’un prêtre, un marchand de chausses qui, tout aussi obstiné que lui de son entendement, ne se donne jamais la peine d’écouter, parle toujours et veut de force prendre mesure d’une paire de chausses au pauvre goutteux qu’il fait damner en le tirant par sa jambe malade.

Dans les compositions de ce genre, tout l’agrément de la pièce roule sur des coq-à-l’âne et des quiproquos ; mais quelquefois une verve satirique impitoyable rehausse la pauvreté ou l’invraisemblance du fond, et l’intérêt se soutient par l’esprit et la malice. La Résurrection de Jenin Landore offre dans ce genre un curieux spécimen. Jenin Landore est trépassé depuis quelques jours, et sa femme, qui ne l’a jamais mieux aimé que depuis qu’elle l’a perdu, le pleure à chaudes larmes. « Consolez-vous, lui dit le curé, votre mari a fait une bonne fin. C’était un bien digne homme : il ne laissa jamais rien dans son verre, et mon clerc m’a même assuré que tout mort qu’il fut, pendant qu’on l’ensevelissait, il demandait encore à boire. » Tout à coup Jenin Landore paraît, et sa femme, qui semble peu satisfaite de cette visite, lui demande d’où il vient et ce qu’il veut. « Je viens du paradis, répond Landore, et si je voulais, je vous en conterais de belles. — Contez donc, dit le curé, car nous avons rarement des nouvelles de ce pays-là, quoique gens d’église. Qu’avez-vous vu ? — J’ai vu saint Pierre