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jalouses, femmes infidèles, maris grondeurs, maris trompés, marchands, docteurs, laboureurs, charlatans, médecins, chambrières, nourrices, qui défraient les farces et les sotties. Ce sont, comme le dit Montaigne en parlant des leçons de Socrate, « inductions et similitudes tirées des plus vulgaires et cogneues actions des hommes. » La critique des mœurs y est incisive, et dans sa trivialité même cette critique a parfois des grâces charmantes ; mais une pensée triste et amère domine toujours et partout, à savoir que l’homme est sot et méchant, et qu’une pente irrésistible l’entraîne vers le mal. Sa misère, dans les farces, n’est pas, comme chez Pascal, une misère de grand seigneur, c’est une misère de truand, et cette donnée éclate dans les sotties avec plus de force et d’amertume encore. Ces compositions ne sont en réalité qu’une protestation continuelle contre la science, contre les âneries de la sagesse humaine, qui agit toujours sottement, et l’on y trouve la mise en action continuelle de cette maxime, que c’est la folie qui gouverne le monde. Cependant, comme dans le moyen âge chaque chose a toujours son contraire, cette même sagesse, si profondément humiliée dans les sotties, n’abdique pas entièrement ses droits ; dans les moralités, elle proteste à son tour en faveur de l’homme et de sa raison, et elle le montre accessible encore aux sentiments honnêtes, au repentir et à la pratique du bien.

Comme les farces et les sotties, les moralités sont écrites en vers, car la poésie est la seule langue de notre vieux théâtre. La plupart des personnages sont des êtres abstraits, tels que Jeunesse, Raison, Abus, Malice, Bon renom, Charité, Tricherie, Bien mondain. Honneur spirituel. Remords de conscience, etc. Le nombre des acteurs y est extrêmement variable, et l’on trouve à la même époque des moralités à deux, à quatre, à dix, et même à quarante personnages. Malgré la bizarrerie de certains détails, il y a souvent dans les moralités aussi bien que dans les farces beaucoup d’invention, et surtout un sentiment très vif de la vie réelle. Par malheur, la forme ne répond jamais à l’idée, et l’intérêt se perd sous les obscurités du langage. Néanmoins ces compositions doivent être signalées comme un curieux sujet d’études morales à ceux qui aiment à suivre à travers les âges l’histoire des vices et des ridicules de l’espèce humaine.

Comme contraste aux compositions littéraires dont nous venons de nous occuper, le moyen âge nous offre les singuliers monumens poétiques laissés par ses confréries religieuses. Un travail récent nous apporte sur ces confréries quelques indications intéressantes : nous voulons parler de l’histoire de la Confrérie de Notre-Dame-du-Puy-d’Amiens, par un membre de la société des antiquaires de Picardie, M. Breuil. Tandis que les Enfans Sans-Souci, les Bazochiens, les Cornards, les Enfans de la Mère Sotte et de l’Abbé de Maugouverne faisaient retentir les carrefours de leurs joyeusetés burlesques, d’autres associations, qui se recrutaient généralement parmi la riche bourgeoisie et les membres du clergé et de la magistrature, s’occupaient de célébrer en vers solennels les louanges de la vierge Marie, tout en gardant encore une petite place aux inspirations mondaines. Ces associations, désignées sous le nom de Confréries de Notre-Dame-du-Puy, étaient fort nombreuses dans le nord de la France. Suivant quelques étymologistes, ce nom de confrérie du Puy se rattacherait au souvenir du culte tout particulier dont la Vierge était l’objet dans la ville du Puy en Velay ; suivant d’autres, et ceux-ci, nous le