Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/643

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

société, qui a la double mission de transformer l’Allemagne et d’avertir l’autorité russe ; ce sont enfin des journaux considérables, de graves organes de l’opinion, imprimés en Autriche, en Prusse, en Bavière, sur les bords du Rhin, et dont l’inspiration vient chaque matin de Saint-Pétersbourg. Toutes les fois que l’Allemagne ouvre les yeux, elle en pousse un cri d’indignation ; mais le plus souvent, hélas ! le fantôme de 1813 est là, obsédant son esprit depuis un tiers de siècle, et cette préoccupation irritante du passé lui cache le présent et l’avenir.

Voici pourtant plusieurs livres récemment publiés qui dénoncent avec assez de résolution et de netteté ces rapports de la Russie et de l’Allemagne. Au moment où l’Autriche et la Prusse avec elle se décident enfin à arrêter la marche des Russes vers les Balkans, ce réveil de l’opinion mérite d’être signalé avec intérêt. Ici un médecin connu par d’utiles travaux de statistique et d’histoire contemporaine, M. Wilhelm Stricker, étudie les relations de l’Allemagne et de la Russie depuis huit siècles et les influences si diverses qu’elles ont exercées l’une sur l’autre ; là, un écrivain qui ne dit pas son nom publie sous ce titre : la Russie et le temps présent, un livre plein de faits, plein de recherches curieuses et aussi impartialement pensé que noblement écrit. M. Wolfgang Menzel, si célèbre naguère par sa haine de la France, a fini par comprendre de quel côté était le véritable ennemi des nations germaniques, et il adresse un éloquent appel à la Prusse pour lui marquer sa place parmi les puissances libérales. D’autres publicistes, en des brochures vraiment patriotiques, celui-ci donnant une réponse allemande à la question d’Orient, celui-là signalant avec chaleur le danger de l’Europe orientale, mêlent leur voix à ce concert de sentimens généreux qui coïncide si bien avec les dernières résolutions de l’Autriche. Et si tant de nobles écrits ne suffisent pas à éclairer la conscience de l’Allemagne, écoutez un des chefs de la jeune école hégélienne. M. Stirner, il y a quelques années, poussait un cri de joie sinistre en songeant à la mort prochaine de l’Allemagne ; aujourd’hui M. Bruno Bauer, dans un livre qu’il intitule l’Esprit allemand et l’Esprit russe, appelle et prophétise le nivellement de l’Europe entière sous le joug moscovite, préparation nécessaire, s’écrie le démagogue, au triomphe définitif du socialisme athée. Tous ces ouvrages, il est vrai (je ne parle plus de M. Bruno Bauer), ne répondent pas encore à ce que nous demandions tout à l’heure ; nous n’y trouvons que par fragmens ce tableau des relations de l’Allemagne et de la Russie, dont l’étude servirait si bien à dessiller les yeux de nos voisins. Le travail de M. Wilhelm Stricker, spécialement consacré à ce sujet, promet beaucoup plus qu’il ne donne. Réunissons toutefois ces documens épars, complétons