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fut transportée à Moscou, et les marchandises, les richesses, les papiers de cette grande factorerie de Novogorod, qui avait joué un rôle si considérable dans l’histoire de Russie, devinrent la proie du despote.


II.

Le gouvernement des chevaliers porte-glaives et les expéditions de la ligue hanséatique sont les épisodes les plus brillans de cette histoire des Allemands en Russie. Ici du moins les hommes ont une mission virile ; ils agissent, ils luttent, ils souffrent pour des intérêts généraux. Soit qu’ils soumettent les provinces baltiques, soit qu’ils deviennent par le commerce les instituteurs des barbares, ils sont les ouvriers de la civilisation, et l’Allemagne peut citer avec orgueil ce fragment de ses annales. Combien ce tableau va changer ! Si nous cherchons après le XVIe siècle ce que font les Allemands chez les Russes, nous ne rencontrons plus que des efforts isolés, des incidens bizarres et sans portée sérieuse, ou bien, spectacle plus triste encore, ce sont des aventuriers égoïstes qui, sans souci de la patrie qu’ils ont quittée, sans souci d’un rôle utile à remplir et d’une action féconde à exercer, vont se jeter éperdument dans les intrigues de cour et semblent augmenter à plaisir la barbarie voluptueuse et cruelle dont ils savent bien qu’ils tireront avantage.

On répète toujours que Pierre le Grand conçut le premier la pensée de transformer son empire avec l’aide des savans étrangers : c’est ce puissant génie, sans aucun doute, qui mit la Russie en communication directe avec les états européens et lui traça une route et un but ; mais un siècle avant lui des savans, des théologiens, des médecins, des architectes, des ingénieurs d’Allemagne, tantôt attirés par les tsars, tantôt séduits par de vagues espérances, étaient allés chercher fortune chez les Russes. À l’époque où le tsar Pierre ne s’était pas encore bâti sa capitale au bord de la Neva, Novogorod et Moscou avaient été tour à tour la résidence des souverains, et toutes les deux comptaient une nombreuse population allemande. Au XVIe et au XVIIe siècle, il y avait à Moscou plusieurs milliers de calvinistes et de luthériens. Le célèbre voyageur allemand Adam Oléarius, qui visita Moscou en 1634 et en 1639 avec l’ambassade du duc de Holstein-Gottorp, donne là dessus de très curieux détails. Toutes les professions qui exigeaient quelque science, tout ce qui supposait de l’art et de l’industrie, c’était le domaine exclusif des Allemands. Le médecin du tsar était un docteur de Thuringe, nommé Hartmann Grammann. Ces médecins étaient en général très largement rétribués, mais le danger était proportionné an gain, car selon l’usage de certains