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contre la Pologne, à côté de Tolstoï, un des descendons d’Ostermann, on citait de grands noms moscovites, les Uvarov, les Talizin, les Deporadovitch, et un aide de camp même de l’empereur, Aramakof. La même situation se reproduit sous le fils aîné de Paul Ier. Alexandre, dans les premières années de son règne, favorisait le mérite sérieux sans s’informer s’il venait d’Allemagne ou s’il sentait le terroir. Bientôt la participation si active de la Russie aux guerres européennes du temps de l’empire donna une certaine prépondérance aux Allemands, et Alexandre fut amené peu à peu à accorder une estime particulière à tous les étrangers d’élite. C’est ainsi qu’on le vit confier d’importans services au duc de Choiseul, au duc de Richelieu et à M. Capodistrias. Bien que ce ne fussent pas là des partis opposés comme autrefois, les jalousies des Russes étaient toujours très vives. Un jour que l’empereur Alexandre voulait récompenser le général Yermolof pour ses brillans faits d’armes dans la guerre du Caucase : — Que veux-tu ? lui demanda-t-il. — Faites-moi Allemand, sire, répondit le général. — Un instant, la grande exaltation religieuse et nationale de 1812 rendit le premier rôle aux représentans de l’esprit russe : les Moscovites étaient fiers de pouvoir dire qu’il avait fallu des Kutusof et des Rostopchin pour repousser Napoléon. Le vieux parti russe commença à se diviser l’année suivante. Les guerres de 1813 à 1815, faites au nom de la liberté européenne, avaient ouvert aux esprits éclairés des perspectives éblouissantes, et la religion du despotisme russe s’effaçait au fond des cœurs. L’esprit nouveau se propagea dans l’armée, et il ne fallait qu’une occasion propice pour le faire éclater. L’occasion se présenta bientôt. Alexandre mourut en 1825. On sait quelle insurrection militaire l’empereur Nicolas eut à dompter dès les premiers jours de son avènement ; c’était une insurrection moscovite. Ainsi s’explique la sympathie inattendue que le troisième fils de Paul Ier témoigna tout d’abord aux étrangers. C’étaient des Allemands, des Prussiens surtout, qui formaient au commencement l’entourage de l’empereur Nicolas, et le français, la langue habituelle de la cour, avait fait place à l’idiome de Schiller. Tout changea promptement après 1830. La première lutte contre l’insurrection polonaise (1830-1831) avait été conduite par des Allemands ; c’étaient les généraux Toll, Rosen, Germar, Sacken, Rudiger, sous le commandement en chef du maréchal allemand Diebitsch, et l’on n’ignore pas quelle fut la malheureuse issue de la campagne. « Comment vaincre, disaient les Russes, avec des chefs étrangers ? » Le maréchal Paskévitch, qui remplaça Diebitsch, triompha de l’insurrection, et avec lui le parti moscovite reprit l’ascendant et le pouvoir. Il ne faut pas oublier cependant que ce sont là des jalousies de personnes plutôt que des luttes de partis, comme sous Anna et sous Elisabeth. Catherine II