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rôle de dupe. Souhaitez que la Russie soit enfin réduite à elle-même ! Puisque l’esprit allemand, depuis tant de siècles, n’a pas réussi à transformer l’esprit russe, puisqu’il lui a donné sa science et ses lumières sans triompher de ses instincts violens et de son despotisme asiatique, souhaitez que les Moscovites soient désormais les seuls maîtres ! Alors cette longue confusion cessera, et l’on pourra voir à nu, sans voiles, sans masques, sans déguisemens trompeurs, le contraste du génie inculte de l’Orient et de la civilisation occidentale.


II.

LES RUSSES EN ALLEMAGNE.

I.

Lorsque Rabelais, dans son Pantagruel, parle des sauvages perdus aux confins du monde habitable, il cite toujours les Moscovites, et Louis XIV, en 1668, ayant reçu une ambassade du tsar, Voltaire raconte que « l’on célébra par une médaille cet événement, comme l’ambassade des Siamois. » Les Russes n’étaient pas des Siamois pour l’Allemagne ; à l’époque même où Rabelais confondait les descendant de Rurik avec les plus lointaines peuplades de l’extrême Orient, les tsars entraient déjà en négociation avec l’Allemagne et s’habituaient à l’idée de faire cause commune avec ses rois. L’ambition russe a été armée de toutes pièces par Pierre Ier ; elle existait avant lui. Les grands-ducs de Moscou, de Kiev, de Novogorod, s’étaient regardés, dès le moyen âge, comme les soutiens de la religion grecque. À la prise de Constantinople par Mahomet II, la Russie était trop occupée de ses révolutions intérieures pour que cette catastrophe pût exciter ses convoitises ; mais bientôt après les règnes d’Ivan III et de Vassili IV, lorsque ces chefs terribles, brisant le vieux gouvernement aristocratique, eurent fondé l’unité de l’empire, les souverains russes commencèrent à jeter les yeux sur la Turquie, et tentèrent d’associer l’Allemagne à leurs desseins. Un 1557, le tsar Ivan IV, — une sorte d’ébauche grossière de Pierre le Grand, chef cupide, cruel, vindicatif, plein de génie et de férocité, — le tsar Ivan IV, qui s’intitulait fièrement seigneur de l’Europe et de l’Asie, envoya une ambassade à la diète de Ratisbonne pour proposer à l’empereur Ferdinand Ier la conquête et le partage de l’empire ottoman. On possède encore le discours adressé à l’empereur par l’envoyé d’Ivan, et rien n’est plus curieux que l’esprit de flatterie insinuante qui distinguait dès lors cette diplomatie barbare. L’ambassadeur