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alliance par lequel le roi protestant et l’empereur catholique ne craignent pas de s’unir, au nom de la Trinité, sous l’évidente suprématie du tsar. Et maintenant, poètes, historiens, orateurs, chantez, glorifiez sur tous les tons les victoires de 1813 ! « La Grèce est libre ! » cria le héraut de Flaminius pendant la célébration des jeux islamiques, et aussitôt, à ce que raconte Plutarque, il s’éleva de plusieurs millions de bouches un cri de joie si violent, que les oiseaux du ciel tombèrent comme frappés de mort. Les peuples germaniques ont entendu aussi le héraut de Flaminius proclamer, au milieu d’acclamations insensées, la liberté de la patrie allemande !


V

L’illusion dura peu chez les esprits lucides. Trois ans après le traité de la sainte-alliance, les diplomates russes continuaient au congrès d’Aix-la-Chapelle ce qu’ils avaient si bien commencé au congrès de Vienne ; ils réglaient les droits de la libre Allemagne. Il y avait là, auprès de l’empereur Alexandre, tout un cortège d’hommes d’état moscovites qui semblaient prendre possession d’une conquête : c’étaient le comte Voronzov, le comte Pozzo di Borgo, le comte Nesselrode, le prince de Liéven, le comte Capodistrias, le baron Alopoeus, le baron Tschernitschef et le baron Jomini. Mme de Krudener, qui avait figure en France, trois années auparavant, comme la prophétesse du tsar, avait aussi sa place au congrès d’Aix-la-Chapelle. Dans le savant portrait qu’il a tracé de cette singulière personne, M. Sainte-Beuve la compare a quelque sœur du grand maître des chevaliers porte-glaives : rapprochement expressif et qui marque bien tous les changemens accomplis ; les chevaliers porte-glaives du XIIIe siècle avaient été les vaillans pionniers de la civilisation allemande en Livonie, et la mystique Livonienne de 1818, par son influence sur les imaginations pieuses, semblait préparer l’Allemagne à recevoir plus aisément le joug de celui qu’elle appelle l’Ange blanc et le sauveur universel. Que faisait-on en effet à ce congrès d’Aix-la-Chapelle ? On s’occupait de christianiser l’Allemagne au nom de la sainte Russie. Ces sentimens révolutionnaires qu’avait déchaînés M. de Stein au moment même où il poussait l’Allemagne entre les bras des Russes, les Russes avaient hâte de les éteindre. Les séances les plus secrètes du congrès étaient consacrées à ce grand travail. Un boyard valaque, M. le comte Alexandre de Stourdza, prit la chose très à cœur, et il présenta à son maître un petit écrit intitulé : Mémoire sur l’état actuel de l’Allemagne, qui n’était autre chose qu’un réquisitoire passionné contre les universités, contre l’esprit public, contre toute la culture littéraire du pays de Lessing et de Kant. Une copie de ce mémoire, égarée on ne sait comment, fut envoyée à Paris et livrée à l’impression. Le plus insolent mépris