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de la pensée allemande éclatait à chaque page de ce pamphlet. « La campagne de Russie, disait M. de Stourdza, aura été un moyen entre les mains de la Providence pour conduire le genre humain à la vraie religion sous l’égide du gouvernement russe ! » Aussitôt ce fut un cri d’indignation par toute l’Allemagne. Cette servitude des âmes parut bien autrement cruelle aux esprits d’élite que les défaites de Wagram et d’Iéna. Des réponses irritées pleuvaient de toutes parts, et un jeune étudiant westphalien, M. le comte Bochholz, adressa un cartel à M. de Stourdza pour la défense des grandes écoles nationales. M. de Stourdza prit la fuite ; il se tint caché quelque temps à Dresde, puis, relancé encore dans sa retraite, poursuivi de lettres menaçantes, il quitta Dresde pendant la nuit, et muni d’un faux passeport se dirigea en toute hâte vers la frontière russe. Cependant la colère publique suivait un autre cours ; le bruit s’était répandu que l’auteur de ce pamphlet était le célèbre dramaturge et publiciste Kotzebue. Kotzebue avait fait tous les métiers ; aucun écrivain n’avait été plus populaire que lui en Allemagne, lorsqu’en 1812 il écrivait contre Napoléon des pamphlets que lui payait M. de Stein. Etait-il infidèle à son rôle de 1812 en continuant d’écrire pour la Russie ? Non certes, et c’est là, pour le dire en passant, la condamnation de cette politique qui associait si follement l’alliance russe et les idées de la révolution. Kotzebue ne faisait que changer d’argumens ; il avait exalté les sentimens populaires, tant que cela était nécessaire à la cause russe ; maintenant que la Russie triomphait, il avait ordre de traîner dans la boue tous les publicistes libéraux. On assurait donc, à tort ou à raison, que le mémoire de M. le comte de Stourdza était l’œuvre de Kotzebue. Ce soupçon accéléra le châtiment prononcé contre lui par les sociétés secrètes. Le 23 mars 1819, Kotzebue fut assassiné par Charles Sand !

Quel enseignement dans le crime du 23 mars 1819 ! Kotzebue et Charles Sand sont les deux héritiers de ce violent baron de Stein qui, pour venger l’Allemagne des victoires de Napoléon, n’hésita pas à la livrer aux Russes. N’oubliez pas ces deux noms si tristement célèbres ; ils résument les deux partis issus du fatal mouvement de 1813, l’un qui se met aux gages du tsar, l’autre qui s’exalte en sens contraire et ne recule pas devant l’assassinat ! Cet assassinat, on le pense bien, assura une force nouvelle à la Russie. C’est elle qui conduit la grande réaction de 1819 et qui frappe les citoyens les plus respectés de l’Allemagne. Tous les héros de 1813 sont déclarés suspects ; Jahn est jeté en prison, Maurice Arndt et Welcker sont destitués, les deux Follen sont obligés de prendre la fuite. Le congrès de Carlsbad prend contre les universités la plupart des mesures répressives que réclamaient Stourdza et Kotzebue, et une commission manifestement dirigée par la Russie s’établit à Mayence comme