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aurait dû faire, s’il ne l’eût épousée, à moins qu’elle ne consentit à assurer à ses enfans un certain patrimoine dont il leur garantirait l’équivalent. C’était une précaution contre le cas où la mort de l’un des époux laisserait l’autre libre de former un second lien. Sa femme ayant refusé, il se crut libre de la quitter ; il la laissa le moins mécontente qu’il put, et il partit, dit-il, assez chagrin, ayant toujours honnêtement vécu avec elle. Cependant il se croyait en droit de faire connaissance avec les pays étrangers, dont il avait pour cela même appris les langues. Muni de l’agrément de la cour, il se mit en route, ayant pour compagnon Aurelian Townsend, gentilhomme qui savait à merveille le français, l’italien et l’espagnol, puis un valet de chambre parlant français, deux laquais et trois chevaux. Il ne manqua pas de s’embarquer à Douvres et de débarquer à Calais.

On était en 1608 ou 9. Il descendit à Paris dans le faubourg Saint-Germain, où demeurait l’ambassadeur d’Angleterre, sir George Carew, qui le reçut avec beaucoup de civilité. Auprès de l’ambassade était l’hôtel du duc de Ventadour, gendre du connétable de Montmorency. La duchesse, qui voyait souvent l’ambassadrice, rencontra chez elle sir Édouard Herbert, et l’invita à venir chez son père au château de Mello[1]. Dans cette belle résidence, il fut dignement reçu par le vieux connétable, qui lui dit que la première fois qu’il avait entendu parler des Herberts, c’était au siège de Saint-Quentin. Son grand-père y avait en effet commandé l’infanterie sous William, comte de Pembroke. Pendant les quelques jours que sir Édouard Herbert passa à Mello, il advint qu’une fille de la duchesse de Ventadour, âgée d’environ dix ou douze ans, alla un soir se promener dans une prairie avec lui et d’autres seigneurs et dames de la compagnie. Elle portait un nœud de ruban sur sa tête. Un des gentilshommes français s’en saisit tout à coup et l’attacha à la ganse de son chapeau. La demoiselle offensée le lui redemanda vivement, mais il refusa, et se tournant vers sir Édouard, elle lui dit : « Monsieur, je vous en prie, reprenez mon ruban à ce gentilhomme. » À cet appel, le galant étranger s’avança vers le ravisseur, le chapeau à la main, et lui demanda de lui faire l’honneur de le mettre à même de rendre à cette dame son ruban ou son bouquet. La réponse fut

  1. Marguerite, femme d’Anne de Levis, duc de Ventadour, était la seconde fille de Henri Ier, duc de Montmorency, qui avait succédé dans la Charge de Connétable à son père Anne après un assez long intervalle. Celui-ci, mort en 1807, prenait les titres de seigneur de Chantilly, d’EsCOUen et de Mello. Ce dernier lieu que lord Herliert appelle Merlou se dit aussi Mellon, Meslo, de Mellum, et a donné son nom à un connétable de la maison de Dreux sous Philippe-Auguste. C’est un bourg des environs de Clermont (Oise). Le château et la terre passèrent, après la mort de Henri de Montmorency, père de la princesse de Condé, dans cette dernière branche de la maison de Bourbon. On y admire encore un château, un parc et un domaine magnifiques.