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comme plus dignes de pitié que de haine. Il passa ensuite un mois a visiter les curiosités de Rome, et il y aurait prolongé son séjour s’il n’avait eu la fantaisie de voir le pape siéger en consistoire ; mais là, s’apercevant que le saint père allait lui donner sa bénédiction, il s’esquiva, ce qui parut suspect ; on courut après lui et il regagna son auberge pour chercher son cheval. Il n’y était pas depuis une demi-heure qu’il vit accourir le supérieur du collège des Anglais pour l’informer qu’il était traduit devant l’inquisition, et lui conseiller de partir au plus vite. Il déménagea sur-le-champ et partit deux jours après.

À Turin, il se laissa donner par le duc de Savoie, qui lui fit très bon accueil, la commission d’aller chercher en Languedoc quatre mille hommes de la religion réformée qu’on lui avait promis, et de les amener en Piémont. Il rentra donc en France, et de son voyage jusqu’à Lyon il n’aurait rien à raconter, s’il ne s’était arrêté à Bourgoin pour y voir la fille d’un hôtelier qui avait jusqu’en Angleterre la réputation d’être la plus belle femme du monde. Il a eu l’attention de nous laisser de ses charmes et de sa toilette la description la plus séduisante. En arrivant à Lyon, les gardes de la ville l’interrogèrent d’une façon qui ne lui parut pas naturelle. En effet, le marquis de Rambouillet[1], ambassadeur de France à Turin, avait prévenu Saint-Chaumont, qui commandait à Lyon[2], et un édit de la régente Marie de Médicis venait d’interdire toute levée d’hommes dans le royaume. Les gardes s’emparèrent donc du voyageur suspect, et le conduisirent au gouverneur, qui était à vêpres. Herbert attendit quelques momens dans l’église, puis vint un personnage en habit noir qui le salua sans grande cérémonie et lui adressa quelques questions. Il répondit fort sèchement. L’homme noir murmura quelque chose à l’oreille des gardes, qui menèrent l’étranger dans une assez belle maison où on lui dit qu’il devait garder les arrêts par ordre du gouverneur. Il s’écria qu’il ne reconnaissait ni le gouverneur ni l’ordre, et que s’il parvenait à sortir de là, on ne l’y ferait pas rentrer vivant. Le maître du lieu ne répondit qu’en le logeant du mieux qu’il put. Bientôt arriva sir Édouard Sackville. Il avait parlé au gouverneur, et il apportait l’offre de ses bons offices. Il demanda au prisonnier s’il avait levé des hommes pour le duc de Savoie. « Pas un, » répondit Herbert. Sackville lui apprit alors que le gouverneur était fort choqué du ton de ses réponses. Herbert s’excusa sur ce qu’il ignorait à qui il parlait. Sackville sortit et revint peu après le délivrer de la part du marquis de Saint-Chaumont, chez lequel il le conduisit. Il y trouva

  1. Charles d’Angennes, né en 1577, mort en 1652, le mari de la célèbre Catherine de Vivonne.
  2. Armand-Jean Mitte, marquis de Saint-Chaumont, comte de Miolans.