Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les moyens à l’aide desquels on se procure de l’argent. Il est manifeste, quelques précautions que l’on prenne pour le dissimuler, que le cabinet de Pétersbourg se trouve dès à présent acculé à tous les expédiens qui caractérisent un gouvernement aux abois. Outre ses ressources ordinaires, il a dévoré ou dévore en ce moment : 1o les sommes qui étaient restées disponibles sur le produit du dernier emprunt ; 2o les fonds qu’il avait temporairement placés en France, en Angleterre et en Hollande ; 3o les 30 millions de rouilles (120 millions de francs) dont il a diminué la réserve métatlique déposée en garantie du remboursement des billets de crédit dans la forteresse de Saint-Pétersbourg ; 4o les 24 millions de roubles (96 millions de francs) que représentent les nouveaux billets du série ou bons du trésor émis depuis le 1er janvier 1853[1] ; 5o les emprunts faits aux caisses publiques, dont le chiffre n’est pas connu, mais qui ont dû être considérables, à en juger par ce fait révélé par le Moniteur du 4 juin, que le lombard de Moscou aurait envoyé en une seule fois 19 millions de roubles (76 millions de francs), et par cet aveu dont tous les journaux ont retenti, que le trésor russe a mis la main sur la réserve formée par les bénéfices de la banque de crédit foncier à Varsovie, bénéfices qui s’élevaient à 28 millions de francs ; 6o enfin les contributions volontaires tarifées au dixième du revenu, sans parler des 80 millions de francs que le clergé, si l’on en croit les publications officielles, devait déposer sur l’autel de la patrie.

Eh bien ! ce n’est pas encore assez. Soit que le gouvernement russe veuille se ménager des ressources pour les besoins qu’il prévoit, soit que les nécessités du moment le talonnent, il a cherché à négocier sur les marchés étrangers un emprunt de 50 millions de roubles (200 millions de francs) ; mais, ne trouvant de prêteurs ni à Paris ni à Londres, quoiqu’il mit son crédit au rabais et offrit un intérêt d’environ 6 pour 100, repoussé même d’Amsterdam et de Berlin par la défiance encore plus que par le patriotisme, il a converti cet appel à la bonne volonté des capitalistes anglais, français, hollandais ou allemands en une charge obligatoire pour toutes les provinces de l’empire. Chaque ville, considérée comme un centre de capitaux, est tenue d’en souscrire une part proportionnée à son importance : quiconque ne s’empressera pas de fournir le tribut qu’on lui impose, sera considéré comme hostile à l’empereur, et cela dans un pays où le moindre signe d’opposition met en péril la personne aussi bien que la fortune. L’emprunt forcé, cette confiscation partielle, cette

  1. Nous n’avons aucun moyen de vérifier si, dans les 96 millions de francs dont nous empruntons le chiffre au Moniteur, se trouve comprise la série de bons du trésor mise en circulation dans le royaume de Pologne par un ukase du 28 avril, et qui s’élevait à 20 millions de francs.