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la condition des personnes. L’impôt ne saurait être augmenté d’une manière durable qu’à mesure que l’on voit s’accroître la richesse de la nation. La guerre actuelle, loin d’ajouter aux forces productives de la Russie, les diminue et tend à les détruire ; elle ne laisse donc aucune marge à l’augmentation de l’impôt. Si le gouvernement russe augmente les taxes indirectes, il ne fera que donner une prime plus forte à la fraude ; une expérience récente doit l’avoir édifié à cet égard : on sait que le rendement des mines de la Sibérie a décru depuis l’augmentation de la redevance payée à la couronne. S’il fait porter la surcharge sur les contributions directes, le recouvrement de l’impôt deviendra impossible : les propriétaires, déjà ruinés par l’emprunt forcé et par la suspension du commerce, offriront peut-être des denrées au fisc, une contribution en nature ; mais ils n’auront certes pas d’argent à lui donner. Il faut donc en prendre son parti, la guerre a diminué largement les revenus de l’état ; on ne les relèvera pas par des ukases. En supposant que l’échiquier russe fût en bonne odeur auprès des capitalistes, examinons s’il serait aujourd’hui en mesure de leur demander, à défaut de l’impôt, les 400 ou 500 millions qui vont lui devenir nécessaires pour prolonger la lutte pendant l’année 1855.

Depuis le rétablissement de la paix en Europe, tous les gouvernemens ont abusé du crédit. Au moment où le niveau de la fortune publique s’élevait sur les ailes de l’industrie, et avec la richesse de tous, le revenu de l’état, ils ont donné à leurs dépenses un essor démesuré, qui a laissé bien loin celui des recettes. Ces dépenses, qui accusaient presque toujours leur imprévoyance ou leur prodigalité, ont rarement été productives. Celles qui avaient pour objet d’étendre le réseau des moyens de communication, tels que routes, canaux et chemins de fer, et d’ajouter ainsi à ce capital de la nation, dont tous les individus profitent, n’ont figuré dans le catalogue qu’à titre d’exception. Cette débauche d’emprunts, dans laquelle les états les moins solvables se sont particulièrement signalés, en étendant et en généralisant le placement des capitaux en rentes, a fondé le crédit public ; mais il faut convenir que ce sont là des fondations impures. Le crédit public a besoin de faire oublier son origine par ses services ; autrement on ne l’envisagerait bientôt que comme un moyen de plus d’excéder et de ruiner les peuples, en dissipant l’avenir sans profit réel pour le présent.

Entre tous les gouvernemens qui empruntent, le cabinet russe semble s’être distingué par sa sobriété. Cependant cette modération n’est qu’apparente. Sans doute, la dette perpétuelle et la dette à terme, mises ensemble, ne s’élèvent qu’à 401 millions de roubles (1, 600 millions de francs), somme qui représente à peu près le double du revenu