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de la nation. Après la compression de la classe moyenne et la chute de la monarchie, qui, pendant des siècles, avaient travaillé de concert à cette glorieuse émancipation de la raison publique, la France devint la proie d’une horde de sophistes qui livrèrent la société et la civilisation aux fureurs de la basse démagogie. Ces trois périodes décisives de la révolution française, qui se résument dans l’assemblée constituante, dans la législative et la convention, marquent aussi les différens degrés de sympathie qu’inspira à l’Europe ce grand mouvement national. Il avait épuisé et dépassé les idées les plus hardies du XVIIIe siècle.

L’esprit du XVIIIe siècle, tel qu’il se dégage de l’ensemble de ses travaux et de ses actes, fut un esprit de liberté ayant pour but l’émancipation de la nature humaine. Sous la main du christianisme et la tutèle de l’église, l’homme n’avait été qu’un instrument de la Providence, un jouet de la grâce, dont il ne lui était pas permis de sonder les voies mystérieuses. Le XVIIIe siècle le relève de cette irresponsabilité aveugle, il brise les sceaux qui fermaient le livre de la vie, et c’est dans la volonté éclairée par la raison qu’il place désormais l’unique point d’appui de notre destinée. Telle est la donnée générale de ce qu’on appelle la philosophie du XVIIIe siècle, qui continue l’œuvre de la renaissance, dont elle est la conséquence logique. En effet, le mouvement de la renaissance, si bien caractérisé par Descartes dans son Discours sur la Méthode, s’arrête un instant au XVIIe siècle pour essayer une sorte de compromis avec l’autorité traditionnelle, d’où il ne résulte qu’une réforme timide de la discipline intérieure du catholicisme. Après cet essai infructueux de conciliation, le souffle libérateur reprend de nouveau son cours et renverse tout ce qui lui fait obstacle, bientôt enfin s’accomplit le glorieux hyménée de l’esprit humain et de la nature prédit par Bacon, et dont il avait préparé d’avance l’épithalame. De ce mariage fécond et si longtemps retardé par la jalousie de l’église doit naître « une race de géans et de héros qui étoufferont le syllogisme de la scolastique, délivreront le genre humain de l’ignorance et purgeront la terre de toute injustice. » Voilà en quels termes magnifiques le génie de Bacon annonce l’avènement de la science moderne qui inspire tout le XVIIIe siècle, depuis Voltaire jusqu’à Kant.

C’est alors qu’on vit se lever comme par enchantement un groupe d’intelligences vives, audacieuses, pleines de confiance dans les ressources de l’esprit humain dont elles croyaient avoir reculé les bornes, s’attaquant à tous les objets, brisant tous les liens de l’antique discipline, réformant les vieilles méthodes et dédaignant le passé, qui avait accumulé tant d’erreurs et de si profondes injustices. Les hommes éminens du XVIIIe siècle conçurent le vaste projet