Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tosi et Mancini, qui en ont résumé les principes dans leurs écrits, Porpora de Naples et ses glorieux disciples, tels que Farinelli et Caffarelli, ont-ils recommandé au virtuose une étude longue et patiente du mécanisme vocal avant d’aborder l’expression des paroles et de franchir le seuil du sanctuaire. Qui ne sait que le vieux Porpora a tenu pendant des années son élève Caffarelli sur une page de solfeggio sans lui permettre de chanter même une simple canzonegga ! L’élève, s’ennuyant de gazouiller comme un oiseau toujours la même chose, demanda un jour au maestro quand il lui serait au moins permis de tourner la page ? — Quand tu sauras ton métier, lui répondit brusquement Porpora. — Et deux ans après il lui dit en le prenant par les oreilles : « Maintenant tu peux chanter ce que tu voudras, car tu es le premier virtuose de l’Italie. »

Sans donner plus d’importance qu’il ne faut à de pareilles anecdotes, ajouta Pacchiarotti, il est certain que les plus grands effets de l’art tiennent à des artifices d’exécution sans lesquels le génie le plus heureusement doué manque le but qu’il se propose. Un mot, un coup de pinceau, un accord placés à propos, changent quelquefois la physionomie de toute une œuvre. L’oreille surtout a des voluptés mystérieuses qui se confondent souvent avec l’émotion du cœur, et dont il n’est pas toujours facile d’indiquer la source. Que de choses en effet dans une gamme bien faite, dont chaque son se détache sur un fond mélodique qui ne se brise jamais, dans un trille lumineux qui scintille comme un diamant, dans une simple note qu’on remplit successivement du souffle de la vie ! Et que de nuances dans ce qu’on appelle le timbre de la voix, dans le tissu (tessatura) plus ou moins fin d’une vocalise, dans cet heureux empâtement des sons qui forme un tout harmonieux et remplit l’oreille d’une sonorité suave comme un fruit savoureux parfume la bouche ! Sans doute on a beaucoup abusé de ces délicatesses ; au lieu d’en faire un ornement de la vérité et du sentiment, on les a prodiguées sans goût et sans mesure comme les mauvais écrivains prodiguent les images et les conectti de l’esprit. N’existe-t-il pas des peintres qui se jouent de la couleur, ainsi qu’il y a des musiciens qui ne peuvent écrire trois mesures sans moduler ? Faut-il pour cela dédaigner la couleur et la modulation, comme le prétendent certains anachorètes aussi dépourvus de bon sens que de sensibilité ? Voilà pourtant où conduirait l’exagération de certains principes émis par un illustre compositeur. Je veux parler du chevalier Gluck, dont le beau génie valait mieux que la fausse théorie qui s’est propagée sous son nom. Parce qu’il avait rencontré des cantatrices extravagantes, comme la Gabrielli, qui, ne tenant compte ni de la pensée du maître, ni du caractère de la situation, donnaient une libre carrière à leurs caprices