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à une sonorité plus intense qui va s’épanouir en une forme vraiment musicale, j’ai suivi la tradition des grands chanteurs qui avaient appliqué d’instinct une loi essentielle du goût. Cette loi est bien simple, et quelques mots suffisent pour l’expliquer. Toutes les fois que le récitatif révèle des faits qui tiennent plus à la vie matérielle qu’à celle du sentiment, il faut parler plutôt que chanter. Le récit s’élève-t-il au-dessus des vulgarités qui nous entourent, le son doit être plus musical que prosaïque, et s’il entre enfin dans la région de l’âme, la voix doit éclater et couvrir la parole de sa magnificence. Cette progression de sonorité, qui répond à la logique des passions, forme la grande difficulté du récitatif, qu’on déclame de nos jours avec une fastueuse monotonie.

— Admirablement dit, s’écria l’abbé Zamaria, et si je ne craignais de vous interrompre encore une fois par des réminiscences de pédant, j’ajouterais que les anciens ont professé une doctrine à peu près semblable, qu’ils étendaient non-seulement à la mélopée, mais au débit oratoire et à toutes les formes de la poésie. Or il n’est pas indifférent d’avoir les anciens pour soi dans une question de goût, car il n’y a pas d’art moderne qui ne puisse être ramené à un principe de vérité connu de l’antiquité. Dans le dixième livre de ses Confessions, saint Augustin rapporte que saint Anastase faisait chanter les psaumes d’une voix si modérée, que l’effet ressemblait plus à la parole qu’à la musique ; ce qui faisait croire à saint Isidore de Séville que c’est ainsi que les premiers pères de l’église voulaient qu’on célébrât les louanges de Dieu. Ce qu’il y a de certain, mon cher Pacchiarotti, c’est que les trois degrés de sonorité dont vous venez de nous expliquer la loi n’ont point échappé à la sagacité de Quintilien, qui recommande positivement à l’orateur d’éviter les accens extrêmes et de se tenir sur le milieu de l’échelle vocale, — mediis igitur utendum sonis, — entre la musique proprement dite et la parole ordinaire.

— Je suis heureux d’apprendre, monsieur l’abbé, que les préceptes de notre art pourraient au besoin s’appuyer de si graves autorités, répondit Pacchiarotti ; mais comme il est peu probable que la Vicentina lise jamais les Confessions de saint Augustin, je dirai que les plus célèbres cantatrices du XVIIIe siècle, que j’ai presque toutes entendues, confirment par leur exemple les principes que je viens d’émettre, et qui ont mérité votre approbation. Quel siècle que celui qui a vu briller tour à tour la Faustina, d’une grâce et d’une coquetterie de style inimitable ; la Cuzzoni, sa rivale, dont la voix enchanteresse excitait des transports ; la Mingotti, leur contemporaine, qui n’avait point d’égale dans l’expression des sentimens élevés ; l’Astrua, d’une bravoure merveilleuse ; la Bastardella (Lucrezia Agujari), dont la voix surpassait en flexibilité et en étendue celle de la Gabrielli : la