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à la contrition, Lorenzo parcourut d’un regard étonné ces mille colifichets précieux qui forment l’arsenal de la coquetterie féminine. En face d’une grande et belle glace de Murano enchâssée dans un cadre d’or finement sculpté, il y avait un joli clavecin incrusté de nacre, où la prima donna pouvait se voir étudier afin de ne point contracter d’habitudes vicieuses, et de conserver toujours sur ses lèvres de rose un sourire inaltérable. Un grand nombre de gravures, représentant différens épisodes de la vie galante, d’après Pierre Longhi, peintre de mœurs et caricaturiste ingénieux, garnissaient les murs et traduisaient aux yeux de tout le monde les pensées secrètes et peu mélancoliques de la Vicentina, dont le portrait était suspendu à une guirlande de fleurs que soutenaient deux amours. L’un de ces amours joufflus et bien portans jouait de la trompette et l’autre du flageolet, emblème significatif de la double célébrité que déjà s’était acquise la belle protégée de Zustiniani. Ce qui attira plus particulièrement l’attention de Lorenzo, ce fut une série de petits tableaux, d’un goût au moins équivoque, qui reproduisaient les différentes situations d’un roman célèbre intitulé : la Ballerina infelice {.làDanseuse malheureuse). On la voyait naître sous le chaume, grandir sous la tutelle d’une fée invisible qui l’avait douée de tous les charmes, quitter son village avec un beau seigneur, s’élancer sur le théâtre.aux applaudissement d’un public enthousiaste, entourée d’adorateurs et au comble de la félicité humaine ; puis, frappée au cœur par un sentiment sérieux qui était venu la surprendre au milieu de ses voluptés faciles, elle redescendait précipitamment la colline fatale. Flétrie avant le temps, pauvre, vieille et délaissée, on la voyait accroupie derrière le pilier d’une église où, d’une main défaillante, elle jetait dans le tronc, pour le soulagement des trépassés, la dernière obole qui lui restait. Alors s’accomplissait un vrai miracle : cette obole de la charité s’échappait du tronc sous la forme d’un ange qui allait délivrer une âme du purgatoire, et la conduisait radieuse au séjour des bienheureux.

Étonné de trouver une idée aussi sérieuse dans une fable vulgaire, Lorenzo s’était levé pour examiner de plus près le tableau qui représentait la danseuse au milieu de ses admirateurs, lorsque la Vicentina entra sans bruit, et, s’appuyant gracieusement sur l’épaule de Lorenzo, qui tournait le dos à la porte, elle lui dit tout bas à l’oreille : — Que dites-vous de cette triste histoire, mon ami ? Voilà quelle sera peut-être aussi ma destinée, sans que je puisse même espérer qu’un ange viendra un jour me délivrer de mes peines.

— Qu’avez-vous donc à vous faire pardonner, que vous ayez à craindre une si longue expiation ? répondit Lorenzo en se tournant précipitamment du côté de la Vicentina, qui était ravissante sous le