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nouveau costume qu’elle avait revêtu. — Un joli manteau de soie rose enveloppait sa taille courte et souple, que contenait à peine un corset à ramages aux vives couleurs. Un voile en point de Venise, fixé par un grand peigne en écaille qui surmontait l’édifice de sa chevelure abondante, faisait un joyeux contraste avec le manteau rose, et redescendait en plis onduleux sur un sein adorable que soulevait fréquemment un souffle généreux. Un bel œillet couleur de pourpre, ornement caractéristique de toute femme vénitienne, faisait saillie du côté gauche de sa belle chevelure noire, qui garnissait ses deux tempes d’un petit crochet qu’on appelait le carquois de l’amour. Joignez à cet ensemble deux beaux yeux pétillans d’esprit et de malice, une bouche vermeille aux lèvres effilées qui distillaient un sourire inzucherà, comme disent les poètes des lagunes, et plus exquis que l’ambroisie des dieux ; un petit pied mignon contenu dans des mules de velours où brillait une rose sans épine, et vous aurez une idée bien imparfaite de cette charmante créature, qui semblait exprimer par tout son être la poésie du caprice et de la volupté facile.

— Vous êtes mordant, dit la Vicentina en baissant un peu les yeux pour simuler une tristesse qui était bien loin de son cœur, car elle était ravie de l’effet qu’avait produit sur Lorenzo son joli costume. Et si j’avais à vous conter mon histoire, ajouta-t-elle en poussant un petit soupir hypocrite, vous verriez que je n’ai d’autre faute à me reprocher que d’avoir été trop sincère dans mes affections. Que n’ai-je rencontré, comme la Ballerina, une âme qui répondit à la mienne ! Je ne craindrais ni la misère, ni les peines de l’autre vie.

Il serait assez difficile de dire ce qu’il y avait de vrai dans cette petite scène de sentiment jouée par la Vicentina, qui depuis longtemps avait jeté sur Lorenzo un regard de convoitise. Ce jeune homme qui s’épanouissait avec bonheur au souffle de la vie, et qui semblait impatient d’aborder des rivages inconnus, avait d’abord excité la curiosité et puis l’intérêt de la brillante prima donna, qui, venue en plein vent ainsi qu’un arbre abandonné, n’avait point fleuri à l’heure désirée. Flétrit par des passions séniles qui avaient dévoré son enfance, peut-être n’avait-elle pas encore ressenti cette secousse intérieure qui soulève des montagnes et comble des abîmes. Lorenzo était probablement pour la Vicentina ce qu’elle avait été elle-même pour les artisans de sa fortune, une fleur matinale dont on aime à respirer le premier parfum. Mais, si le cœur de la femme est une énigme qui délie la sagacité de l’observateur le moins crédule, qu’est-ce donc que celui d’une cantatrice adulée qui peut, comme Jupiter, faire trembler l’Olympe d’un coup de sa prunelle ? Où s’arrête