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Les juges compétens sont si peu nombreux ! À quoi bon s’épuiser en efforts pour les contenter ? Ne vaut-il pas mieux s’adresser à la foule, qui bat des mains, pourvu qu’on réussisse à l’amuser ? La réponse serait embarrassante, si les applaudissemens prodigués par la foule assuraient la durée des œuvres historiques. Heureusement les choses ne se passent pas ainsi : la vraie renommée ne s’obtient pas à si bon marché. Au bout de quelques années, souvent au bout de quelques mois, le roman de l’improvisateur est oublié sans retour. Arrive le jugement des hommes à qui leurs études donnent le droit de parler, dont la voix est écoutée, dont l’autorité n’est contestée par personne ; les lecteurs, désabusés par des preuves sans réplique, abandonnent leur idole aussi facilement qu’ils l’ont encensée, et l’auteur du roman publié sous le nom d’histoire s’étonne du silence qui se fait autour de lui.

Ce n’est pas là d’ailleurs la seule raison qui doive ramener les historiens à l’étude des documens originaux : ils trouveront dans la nature même de nos facultés un puissant encouragement. Écrire sans avoir rien à dire de nouveau, de personnel, peut être une bonne spéculation, mais ne saurait jamais donner contentement à une intelligence élevée. Pour peu qu’on ait le goût de la pensée, pour peu qu’on ait en soi le souvenir des œuvres dignes d’admiration, on sait à quoi s’en tenir sur la valeur des pages qu’on vient d’achever ; on ne s’abuse pas facilement sur l’autorité des paroles qu’on vient d’assembler ; on est pour soi-même un juge impartial et sévère. Si l’on n’a rien écrit qui vaille la peine d’être écouté, on ne l’ignore pas. Le succès ne console pas toujours de ce témoignage accablant. On a beau faire, on a beau compter les applaudissemens, on n’impose pas silence à cette voix intérieure. Quand la conscience nous dit que le succès n’est pas mérité, la honte nous saisit, et la flatterie la plus assidue ne guérit pas notre plaie. Pour jouir de la louange, pour la savourer librement, sans trouble et sans confusion, il faut trouver en nous-mêmes le sentiment d’une force noblement dépensée. Pour les intelligences élevées, rien ne peut remplacer une telle joie. Une fois comme, elle devient un besoin de tous les instans. Aussi je nourris la ferme espérance qu’il se trouvera toujours pour les travaux historiques des hommes résolus à l’étude des documens originaux, car leur labeur ne reste pas sans récompense.

Entre ces deux méthodes, laquelle des deux a choisie M. de Lamartine ? Je voudrais pouvoir affirmer qu’il s’est décidé pour la seconde ; malheureusement l’évidence m’oblige à dire qu’il a préféré la première. Lors même qu’il n’eut pas avoué, avec une franchise dont nous devons le remercier, tout ce qu’il doit aux travaux de MM. Lubis