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s’est pas préoccupé des proportions qu’il devait donner à son travail. Il a mis en œuvre les matériaux qu’il avait sous la main, ne reculant devant aucun développement et se réservant la faculté d’abréger les faits qui se présenteraient plus tard, si l’espace venait à lui manquer. Je ne voudrais pas exagérer l’importance de cette observation ; cependant il est impossible de la considérer comme frivole. Puisqu’il s’agissait de nous raconter les événemens compris entre 1814 et 1830, il était indispensable d’assigner à chacun de ces événemens, je ne dis pas seulement le rang, mais encore l’espace qui lui appartient. Il semble que cette condition élémentaire de toute composition historique n’ait pas besoin d’être rappelée, et pourtant M. de Lamartine n’en a tenu aucun compte. Certes il était nécessaire de raconter la première chute de l’empire : sans ce récit préliminaire, la restauration ne se comprendrait pas, ou du moins se comprendrait d’une manière confuse ; mais, comme la restauration est le sujet principal, deux volumes de prolégomènes excitent à bon droit l’impatience du lecteur. Quant au règne de Charles X, il est manifeste que l’auteur l’a renfermé dans des limites trop étroites.

Je voudrais n’avoir à présenter que cette objection avant d’aborder le livre même. Malheureusement je suis forcé d’appeler l’attention sur un autre défaut qui n’est pas moins blessant pour le goût : je veux parler de l’abus des portraits. Esquisser en quelques lignes le caractère d’un personnage, rien de plus naturel, de plus légitime : c’est un exemple donné par tous les grands historiens ; mais ce n’est pas ainsi que M. de Lamartine comprend le portrait. Pour lui, la physionomie morale et intellectuelle n’est que la moitié d’un portrait : il éprouve le besoin de le compléter en parlant aux yeux. Dès qu’il aborde cette seconde partie de sa tâche, il se laisse entraîner aux caprices les plus singuliers, aux inventions les plus étranges. Parlant de Napoléon, il le traite de génie posthume, ce qui, rigoureusement interprété, ne signifie absolument rien, mais veut dire, dans la pensée de l’auteur, que Napoléon a tenté de ressusciter le passé ; c’est une entorse un peu violente donnée au sens légitime des mots. Le portrait physique de Napoléon est bien autrement singulier. M. de Lamartine voit dans son visage, ou plutôt dans son front, une mappemonde. Il s’est mépris sur le sens du mot mappemonde, comme il s’est mépris sur le sens du mot posthume ; il voulait sans doute comparer la tête de Napoléon au globe terrestre, ce qui eût été déjà passablement ridicule : en négligeant de vérifier la valeur des termes qu’il employait, il a trouvé moyen d’établir une comparaison inintelligible. Qu’est-ce en effet qu’une tête-mappemonde ? Je défie le plus habile de répondre à cette question.