Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/826

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant d’espace aux prolégomènes de son livre, et qu’il ait traité avec tant de négligence, j’allais dire avec tant de dédain, l’état intérieur de la France à l’époque où l’empire succomba devant l’Europe coalisée. L’étude approfondie de la France à cette époque désastreuse pouvait seule annoncer au lecteur la grandeur, l’importance, la vivacité des questions qui allaient s’agiter. Retracer l’état des partis, l’état de l’esprit public, était la seule manière d’aborder l’histoire de la restauration. M. de Lamartine en a jugé autrement, ou plutôt il s’est laissé aller au plaisir de recueillir des anecdotes, et de les rajeunir par le nombre et l’éclat des images. Il a fouillé tant qu’il a pu dans la vie privée des acteurs éminens ou subalternes qui ont pris part au rétablissement des Bourbons, ajournant de page en page l’histoire proprement dite. Au lieu d’aborder franchement le sujet qu’il avait choisi, il s’est dit qu’il serait toujours temps de commencer le récit des événemens, et il s’est complu, je ne dirai pas dans l’étude, mais dans la peinture des personnages. Tous ceux qui prennent le passé au sérieux, tous ceux qui cherchent dans le tableau des événemens accomplis un enseignement pour le présent et pour l’avenir, partageront mon regret. Oui, sans doute, il faut accorder une grande importance à la partie purement humaine du récit ; oui, sans doute, il est bon de scruter les sentimens qui animent les acteurs ; mais il ne faut pas confondre l’histoire et le roman. Si les grands historiens de l’antiquité, si les plus habiles parmi les modernes ont mêlé au récit des événemens le portrait des principaux acteurs, ils n’ont jamais méconnu les lois de la composition au point d’accorder aux portraits plus d’importance et d’espace qu’au récit des événemens.

L’Europe coalisée, les batailles perdues, l’action des émigrés sur les cours étrangères, ne suffisent pas à expliquer la chute de l’empire et le rétablissement des Bourbons. Il faut de toute nécessité chercher dans la France elle-même l’explication du sort qu’elle a subi. Tant que la guerre signifiait la défense des droits conquis par le pays, tant qu’elle signifiait l’indépendance et la grandeur en face de l’Europe, la France s’est résignée sans peine à tous les sacrifices, elle a prodigué sans hésiter son sang et ses richesses ; mais le jour où la guerre, au lieu de signifier l’indépendance, a signifié la conquête, c’est-à-dire le sacrifice permanent, indéfini, de toute la nation à l’ambition d’un seul homme, la France s’est détachée du maître qu’elle avait accepté. Tout en versant des larmes amères sur l’humiliation de son drapeau, elle a compris que sa cause n’était pas la cause d’un seul homme, si grand qu’il fût. Rassasiée de gloire, elle n’a pas persévéré dans sa résistance à l’invasion européenne. Sans doute, et je ne