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l’historien. Les événemens racontes par les contemporains ont un charme, une vivacité qu’on trouve bien rarement dans les récits de seconde main ; mais pour mériter le nom d’historien, en peignant ce qu’on a vu, il faut concilier la fidélité de la mémoire avec la maturité du jugement. Or, en écrivant le règne de Louis XVIII, M. de Lamartine n’a pas tenu grand compte des années révolues ; il a oublié comme par enchantement ses derniers combats de tribune, et n’a trouvé pour les fautes les plus évidentes qu’une demi-justice, une demi-sévérité.

Plus on avance dans la lecture de ce livre improvisé en deux ans, plus on est frappé des étranges contradictions auxquelles l’auteur s’est laissé entraîner. Parle-t-il des Bourbons émigrés ? il s’attendrit sur leur exil volontaire, et leur reproche à peine d’avoir méconnu les nécessités de leur temps. Arrivé aux cent jours, la justice lui devient facile, la sévérité ne lui coûte rien ; il condamne sans effort ce qu’il doit condamner. Napoléon une fois enchaîné sur le rocher de Sainte-Hélène, la lumière qui éclairait son esprit pâlit d’heure en heure ; il ne sait pas juger la restauration comme il a jugé les cent jours. Quand Louis XVIII cherche à violer ses promesses et revient au respect du droit par le sentiment du danger, il blâme sa duplicité sans oser la flétrir. Or les principes qui condamnent le gouvernement des cent jours n’absolvent ni l’émigration, ni la restauration. L’émigration et l’appel adressé aux armées étrangères sont un crime contre la patrie. Quand Louis XVIII oubliait le rôle du comte de Provence aux états-généraux et tentait par la ruse ce qu’il n’eût osé tenter par la force, — la résurrection de l’ancien régime, — sa conduite n’était pas moins criminelle qu’imprudente. Son intérêt personnel, les droits qu’il avait reconnus, lui prescrivaient l’accomplissement de ses promesses. Pourquoi donc M. de Lamartine juge-t-il avec tant d’indulgence l’émigration et la restauration ? J’ai tâché de l’expliquer ; je crois y avoir réussi, et je ne me charge pas de le justifier ; une telle tâche serait au-dessus de mes forces. Les diverses parties de ce livre ne semblent pas appartenir au même esprit ; on dirait que l’historien des cent jours ne connaît pas l’historien de l’émigration, et que l’historien de la restauration n’a jamais rencontré l’historien des cent jours. On aimerait à voir un livre signé d’un seul nom révéler à chaque page les sentimens d’un homme toujours comparable à lui-même ; M. de Lamartine paraît s’attacher à nous prouver qu’il y a en lui plusieurs hommes.

Le règne de Charles X n’a pas reçu tous les développemens qu’il comportait, et pourtant ce règne, qui n’a duré que six ans, peut seul servir à expliquer la chute des Bourbons. Dans ce récit si rapide,