Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est en pleine connaissance de ces vues aussi bien que de mouvement de retraite de la Russie, que l’Autriche s’est rattachée, le 8 août, par un nouveau lien, à la politique occidentale, en s’interdisant toute paix qui ne stipulerait pas les garanties réclamées par la France et l’Angleterre elles-mêmes.

On peut voir dès lors le chemin qu’a l’ait la question par le dernier incident. M. de Nesselrode, répondant récemment à la note autrichienne du 2 juin, posait comme condition de l’évacuation des principautés la signature d’un armistice, et en cela la dépêche a été dépassée par les événemens ; il ajoutait que la Russie était disposée à souscrire aux principes proclamés par le protocole de Vienne du 9 avril ; seulement la Russie entend le protocole du 9 avril dans un sens tel qu’elle se trouverait à peu près replacée dans la situation antérieure à la guerre ; l’Angleterre et la France, qui savent ce qu’elles ont voulu dire, l’entendent autrement. Entre ces deux interprétations, qui diffèrent autant que possible, l’Autriche a choisi celle des puissances occidentales. C’est là le fait important du moment. Le point de départ d’une négociation quelconque, ce n’est pas l’interprétation russe, c’est l’ensemble de garanties revendiquées par l’Angleterre et la France. Sans doute, il faut s’attendre encore à une certaine indépendance politique de la part du gouvernement autrichien. Ainsi il est très vrai que l’Autriche, en étant diplomatiquement d’accord avec les puissances occidentales, n’a point agi jusqu’ici comme elles. Faut-il en conclure qu’en entrant dans les principautés, elle se prépare à une sorte de médiation armée qui mettrait au même rang les intérêts européens et l’intérêt russe ? L’échange de notes du 8 août répond sur ce point aux craintes exprimées de nouveau ces jours derniers par lord Clanricarde dans le parlement anglais. On a dit aussi que le cabinet de Vienne, avant d’occuper les provinces moldo-valaques, exigeait que les troupes ottomanes se retirassent sur la rive droite du Danube. La meilleure preuve qu’il n’en est rien, c’est que les Turcs viennent d’entrer à Bucharest, et c’est d’accord avec l’Autriche, selon les déclarations de lord Clarendon, que la Porte envoyait récemment une commission impériale dans les principautés, pour rétablir l’ordre au nom du sultan, et pour faire une enquête sur la conduite des anciens hospodars au moment de l’invasion russe. Quoi qu’il en soit, c’est aux événemens, à des événemens prochains selon toute probabilité, qu’il appartient de donner un caractère plus tranché à l’action de l’Autriche. Pour le moment, l’entrée de son armée dans les principautés, c’est l’éviction complète et définitive des Russes. L’Autriche aura ainsi exécuté son traité du 14 juin avec la Porte ; il reste à savoir si d’un jour à l’autre des circonstances nouvelles ne la rattacheront pas plus intimement encore aux deux puissances de l’Occident.

On a pu le remarquer, dans les détails de ce dernier incident des complications actuelles, il est fort peu question de la Prusse. La politique des gouvernemens a beau se couvrir de voiles ; par le fait, on n’en est point à savoir que, sous l’apparence d’une entière identité de vues et de conduite, d’incessantes divergences se sont produites entre les deux principaux cabinets allemands depuis la signature de la convention austro-prussienne du 20 avril. Ces divergences vont-elles se manifester encore à l’occasion de l’évacuation des principautés ? Cela est fort à craindre, et il ne serait point surprenant