Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/845

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait à gouverner, à tirer l’Espagne de la situation terrible où elle se trouve. Or c’est sous ce rapport que le nouveau gouvernement n’a pas montré jusqu’ici une grande puissance politique.

Le gouvernement espagnol actuel, il faut le dire, a distribué des récompenses à tous les auteurs ou complices de l’insurrection triomphante. O’Donnell a été nommé capitaine-général ou maréchal en même temps que le vieux San-Miguel. Une foule de généraux ont été nommés ; des employés de tout rang ont été remplacés. Récemment, c’étaient presque tous les ministres plénipotentiaires au dehors qui recevaient des successeurs. M. Olozaga paraît devoir venir à Paris ; M. Antonio Gonzalès, ancien progressiste, va à Londres ; M. Pastor Diaz va à Turin. Tout cela n’a certes rien de bien surprenant, c’est un changement de décoration très habituel dans les révolutions. Mais dans l’ordre politique, quels sont les actes du nouveau gouvernement de Madrid ? En réalité, le cabinet espagnol n’est point maître de lui ; il est à la merci de ses incertitudes et de l’incertitude universelle, et en attendant il se poursuit en détail une sorte de réaction peu réfléchie contre tout ce qui s’est fait depuis dix ans. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’après avoir accusé les anciens ministères d’avoir porté la main sur toutes les institutions, sur toutes les lois du pays, on ne fait rien autre chose. On a tout simplement supprimé le conseil d’état ; les conseils provinciaux sont abolis. Comme on voit, c’est un procédé peu compliqué ; un simple décret suffit pour détruire toute une organisation administrative, et pour ramener les choses au point où elles en étaient en 1843. Une question plus grave se présentait : quelle était la constitution pour laquelle on s’était insurgé’ ? Était-ce la constitution de 1837 ou celle de 1845 ? Il s’est trouvé que ce n’est ni l’une ni l’autre, Le gouvernement a décidé la convocation de cortès constituantes qui devront aviser. Ces cortès se composeront d’une seule assemblée, et jusque-là l’Espagne est dans cet état qu’un homme d’esprit appelait le dégouvernement absolu. Le cabinet de Madrid est sans force, voilà la réalité, et s’il est quelque chose de triste, c’est de voir des hommes comme Espartero et O’Donnell obligés de compter avec toutes les passions révolutionnaires ; on l’a vu dans toute cette pénible affaire de la reine Christine. Les ministres, à ce qu’il paraît, auraient désiré faire partir l’ancienne régente, mais les meneurs révolutionnaires s’y sont opposés ; ils sont allés en députation auprès du duc de la Victoire, qui a dû rassembler le conseil, et il s’en est suivi que le gouvernement a pris l’engagement de ne laisser partir Marie-Christine ni publiquement ni en secret. C’est aux cortès qu’on réserve la mission de réviser la fortune de la veuve de Ferdinand VII et de prononcer sur elle. La situation de la reine elle-même est-elle beaucoup meilleure ? Personnellement sans doute, Isabelle II n’est point menacée ; comme reine, son autorité n’existe pas ; il y a quelque chose de plus, on s’en sert contre elle-même, contre sa propre dignité. Il y a quelques jours, on mettait dans sa bouche des paroles qui étaient une sorte d’amende honorable devant l’insurrection. Plus récemment encore, on soumettait à sa signature un décret qui décerne une récompense à un des généraux insurgés, et on avait soin de spécifier que c’était pour sa brillante conduite à Vicalvaro. Or, quand l’insurrection se couronne elle-même en haut, il est tout simple que ce même esprit descende dans tous les rangs de la hiérarchie, et c’est ce