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et le congédie après avoir arrêté un regard soupçonneux sur l’imprudent solliciteur. Une nuit de sommeil fiévreux, la dernière qu’il va passer sous le toit de sa famille, succède à cette pénible journée. Le lendemain commence le triste récit dont les scènes que nous venons de résumer n’ont été en quelque sorte que le prologue.

« Il était deux heures du matin environ, lorsque mon valet de chambre vint me réveiller, ses habits en désordre et l’air épouvanté. — On vous demande, me dit-il, je ne sais quel officier. -Tu ne le connais pas ? — Non. — Alors je devine le motif de cette visite, lui répondis-je en jetant ma robe de chambre sur mes épaules.

« Un homme enveloppé dans un manteau militaire se tenait à la porte de la grande salle ; je distinguai près de la fenêtre un panache blanc : derrière se dressaient plusieurs autres figures ; l’une d’elles était coiffée d’un bonnet de kosak. Ce visiteur n’était autre que le maître de police Miller. Il m’annonça qu’un ordre du gouverneur militaire, pièce qu’il avait entre les mains, lui enjoignait de faire une perquisition dans mes papiers. On apporta des lumières, et on prit mes clés. L’officier de quartier et son adjoint se mirent à visiter mes livres et mon linge ; le maître de police se chargea des papiers ; tout lui paraissait suspect, et il entassait ces documens accusateurs l’un sur l’autre à mesure qu’il les parcourait. Tout à coup il se tourna de mon côté et me dit : — Je vous prie de vous habiller en attendant ; nous partirons ensemble.

— Où irons-nous ? lui demandai-je.

— Dans le quartier de police de la Prétchistineka, me répondit-il en adoucissant sa voix et comme pour me tranquilliser.

— Et ensuite ?

— L’ordre du gouverneur n’en dit pas davantage.

« Je rentrai dans ma chambre pour m’habiller. Pendant que j’y étais, les domestiques effrayés allèrent réveiller ma mère, et elle accourut vers moi ; mais un kosak l’arrêta au passage, au moment où elle traversait le salon ; elle poussa un cri qui me fit tressaillir, et je courus à sa rencontre. Le maître de police quitta les papiers et me suivit dans le salon ; il adressa à ma mère quelques paroles d’excuse, l’autorisa à passer, rudoya le kosak, qui n’était nullement coupable, et reprit son inspection. Quelques instans après, je vis arriver mon père. Il était pâle, mais il s’efforçait de garder un air impassible. La scène devenait pénible. Ma mère était assise dans un coin et pleurait. Le vieillard parlait de choses indifférentes avec le maître de police, mais sa voix tremblait. Craignant de ne pouvoir supporter longtemps ce spectacle et ne voulant point donner au maître de police