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chose d’étrange et un air de liberté ; mes cheveux ne sont pas blonds, mais rouges ; mon nez aquilin, mais ni petit ni grand ; mes yeux d’une mesure ordinaire, mais vifs ; mon front large, mes sourcils blonds et épais, mon menton arrondi. Je ne suis pas haut de taille, mais on me dit que je dois grandir ; mes membres sont bien proportionnés ; j’ai une tendance à la force et à l’embonpoint. Ma démarche n’annonce ni la noblesse ni le lettré ; il y a tout à la fois de l’agitation et de la négligence. »

Foscolo quitta Zante à l’âge où l’on entre dans l’adolescence. C’était faire de bonne heure l’apprentissage du changement de séjour et presque de patrie. Depuis ce temps, on peut le dire, l’idée de patrie pour Foscolo acquit un sens de plus en plus large et vague. Quoiqu’il repousse dans toute sa correspondance le titre de cosmopolite, il ne put, il ne voulut jamais d’une manière suivie retourner dans son île grecque. On l’accusa toujours de n’avoir pas de patrie ; c’était une injustice : en changeant de séjour, il ne cherchait pas le bien-être, il poursuivait des principes qui fuyaient toujours devant lui. La patrie de Foscolo était une patrie adoptive, une Italie indépendante après laquelle il soupirait, comme Enée cherchant le royaume promis à ses descendans. Souvent il fut sur le point de s’écrier :


Jam tandem Italiae fugientis prendimus oras ;


mais le fantôme de cette Italie espérée s’évanouissait toujours. En 1797, quand le général Bonaparte improvisa les républiques italiennes avec des victoires, Foscolo fut un des Vénitiens qui s’émurent avec le peuple s’agitant sous le joug de la seigneurie. Patrie, mère, moyens d’existence, il quitta tout pour respirer cette liberté nouvelle qui régnait à quelques lieues de son pays. Depuis ce temps, Milan fut son séjour et lui remplaça Venise. Le traité de Campo-Formio avait fait un douloureux sacrifice de la reine de l’Adriatique : la ville de ses ancêtres était devenue autrichienne, le jeune démocrate ne la pouvait plus regretter. Comme un fils de la Grèce qui avait appris à lire dans Xénophon, il prit l’épée, s’engagea dans un escadron de cavalerie formé à Bologne, et devint sous-lieutenant au bout de deux mois. Les fatigues et les périls du siège de Gênes sous les ordres de Masséna, une blessure à la cuisse, quelque temps de captivité, la bataille de Marengo, à la suite de laquelle il fut promu capitaine, telles furent ses épreuves comme stoïcien et comme héritier des Xénophon et des Thémistocle.

Après deux années d’activité militaire et de services sous les généraux français, l’enthousiasme de Foscolo se refroidit, ses illusions tombent. Il a vu de près les vainqueurs, alliés trop puissans de la république lombarde ; il commence à douter de leur générosité ; il ne