Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Thérèse, d’Édouard, du père de Thérèse. Comme dans la Nouvelle Héloïse le lecteur passait successivement d’un personnage à l’autre, et ce roman si simple et si court avait tous les inconvéniens des romans par lettres, sans en retenir les avantages. Foscolo mit de côté toutes ces épîtres de mains diverses ; il ne laissa la plume qu’à Jacques Ortis ; son livre demeura ce qu’il devait être, ce que Goethe avec son génie avait mieux deviné que lui, l’étude psychologique d’une seule âme. Jacques Ortis dut à Werther la mesure d’unité dont ce livre était capable.

Après ces explications, il devient inutile de discuter la question de l’imitation de Werther ; nous avons toutes les confidences de Foscolo dans la notice bibliographique insérée à la suite de l’édition de Londres en 1814, et dans ses lettres, surtout dans celle qu’il adressa à M. Bartholdy le 29 septembre 1808, et qui a été donnée par le comte Balbo à l’Anthologie italienne. En présence du témoignage d’un auteur dont la bonne loi ne fut jamais suspectée, les doutes et les raisonnemens tomberaient d’eux-mêmes. Quant à la comparaison des deux livres, le lecteur a pu la faire en suivant nos réflexions. Il est manifeste que Werther a un caractère plus général que Jacopo Ortis ; le premier est Européen, en même temps qu’Allemand ; si la disposition morale qu’il représente est une maladie, c’est une maladie épidémique. Le second est exclusivement Italien. Et nous n’avons pas même relevé quelques traits plus particuliers qui appartiennent à la physionomie d’Ortis et lui donnent un air étranger pour nous et pour notre temps. Je ne sais si l’on a remarqué ce qu’il y a d’antique et de grec dans certaines pages de ce roman ; non-seulement il est rempli du stoïcisme de Sénèque et de Lucain, mais les souvenirs classiques s’y présentent souvent. Thérèse est assise sous un mûrier ; Ortis, assis près d’elle, la tête appuyée au tronc de l’arbre, lui récite les odes de Sapho. Dans un autre moment, Ortis, s’éloignant du lieu où il a vu Thérèse, se tourne, les bras ouverts, comme pour se consoler, vers l’astre de Vénus. Ailleurs il croit apercevoir les nymphes aux légers vêtemens, couronnées de roses et dansant autour de lui ; il invoque les Muses et l’Amour. Au-dessous des cascades écumantes et harmonieuses, il lui semble voir sortir à moitié des eaux, avec leurs cheveux brillans répandus sur les épaules et leurs yeux sourians, les Naïades, aimables divinités des fontaines. C’est avec la même attitude, dans les mêmes termes, que Catulle, ce grand imitateur des Grecs, faisait apparaître les Néréides au héros Pélée. Voilà les images et les souvenirs que l’on trouve dans un roman et un roman par lettres ; il ne les faut pas attribuer seulement à la tournure hellénique de l’esprit de Foscolo, ni à l’influence de Zacynthe la bien boisée, mais l’Italie est la terre classique de la mythologie : c’est là que les dieux