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Souvent il vivait à la campagne pour cacher sa misère et ne pas perdre son titre de gentleman, qui était sa suprême espérance.


« Je suis guéri, et je me retire à la campagne pour déguiser ma pauvreté à ceux qui m’ont invité, et à ceux qui m’invitent encore. Ici la pauvreté est une honte que nul mérite ne peut laver ; c’est un délit qui n’est pas puni par les lois, mais qui est poursuivi d’autant plus cruellement par le monde. Une telle manière de penser procure de grands avantages à la nation ; mais elle réduit celui qui a besoin à ne pouvoir chercher ni aide, ni soulagement. C’est pourquoi je me suis enfui pour m’excuser de ne pas me montrer. Les plus savans me tiennent ici pour un oracle ; ils ont écrit dans un journal que je suis le plus grand génie qu’ils aient connu parmi les vivans. Notez bien que les articles des journaux littéraires sont écrits par des riches, des nobles et quelquefois même par des ministres. Mais la misère rendrait vil à leurs yeux Homère lui-même. Crois-moi, je l’ai éprouvé. »


Foscolo travailla sans relâche, durant son exil, pour suffire à ses besoins, et ce résultat même, il ne l’atteignit jamais entièrement. Il faisait des articles pour la Revue d’Edimbourg et pour la Quarterly Review, pour d’autres recueils encore ; mais il était obligé de les écrire en français et de les faire traduire ensuite à ses dépens. Lorsqu’il avait mis sa pensée à la torture pour l’exprimer dans une langue étrangère, lorsqu’il l’avait vue encore mise en pièces par des mains mercenaires, et qu’il payait en faisant des dettes, il lui arrivait quelquefois de la voir arrêtée à la porte d’un journal. Cependant il regrettait amèrement d’être condamné à des travaux sans avenir.


« Je pleure les facultés qui m’ont été données par le ciel, qui ont été exercées avec tant de soin, toutes prêtes, hélas ! à se perdre, et occupées en attendant à des choses sans gloire et sans utilité ; je pleure une si grande constance de cœur et d’opinions, qui aboutit à l’ignominie de l’indigence et des dettes ; je pleure la renommée, dont je n’ai jamais été fort ambitieux, mais qui pourtant est la seule consolation que je pourrais laisser en héritage à mes amis. »


Il entreprit des publications littéraires, par exemple une édition des classiques italiens ; tantôt les désastres d’une année calamiteuse, tantôt la mauvaise volonté d’un éditeur lui faisaient perdre le fruit de ses peines, de ses veilles et de ses dépenses. La mauvaise fortune poursuivait le malheureux Foscolo. Plusieurs fois il fut sur le point de s’embarquer pour Zante, devenue île anglaise ; toujours quelque empêchement venait l’arrêter. Une fois, entre autres, des députés de Zante, parmi lesquels il avait un cousin, étaient à la veille de retourner dans leur patrie ; Foscolo les devait accompagner : une chute de cheval lui rompit à moitié la jambe, et les députés grecs partirent sans lui.