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la couronne qui avait vaincu sur quelques champs de bataille, la veuve d’un grand poète, car elle passe pour avoir épouse secrètement Alfieri, s’était unie à un peintre d’une assez grande réputation, François-Xavier Fabre, également, dit-on, par un mariage secret. La comtesse d’Albany recevait les hommes de lettres ; elle passait pour avoir décidé de la vocation littéraire du tragique piémontais. Foscolo était trop dévot à la mémoire d’Alfieri pour ne pas chercher son souvenir dans la maison de la comtesse. Celle-ci avait presque le double de son âge ; il l’appelait son amie et sa mère ; il la prenait pour confidente. Les lettres qu’il lui adresse sont peut-être les plus piquantes de tout le recueil. Cependant cette amitié se refroidit lors des événemens de 1814. La comtesse d’Albany blâmait Foscolo de ne pouvoir accepter les faits accomplis : elle l’accusait de se vouloir singulariser. Foscolo cessa presque entièrement de lui écrire. Cette partie de la correspondance a été trouvée à Montpellier, dans le Musée-Fabre, où elle faisait partie du legs fait par le peintre à sa ville natale.

Foscolo avait une autre amie à Florence, assez jeune pour avoir tenté un cœur qui aimait à succomber, trop âgée cependant pour conserver un amour qui ne savait guère se fixer. Cette amie était une dame Quirina Maggiotti, pour laquelle ses tendres sentimens durèrent peut-être une quinzaine de jours, et qui lui voua une amitié inaltérable. Cette personne, désignée sous le nom de Donna Gentile, traitée d’abord assez légèrement par le volage poète, lui prouva plus tard combien elle méritait son estime. On regrette que ce dévouement si pur et si entier ne fût pas entièrement légitime, car cette femme méritait d’être appelée l’ange tutélaire de Foscolo. Tandis qu’il luttait dans l’exil contre l’acharnement de la fortune, dans ses faibles ressources elle inventait ingénieusement les moyens de le secourir malgré lui : elle payait ses billets sans se faire connaître ; elle s’entendait avec le noble et vertueux Pellico pour faire passer au poète une somme qu’il croyait provenir de la vente de ses livres. De loin, elle voulait partager les souffrances de son ami. Voici un exemple presque puéril, mais pourtant touchant, de cette tendresse désintéressée : en apprenant que le poète, pauvre et malade, endurait le supplice du froid dans les montagnes de la Suisse, elle lui raconte, afin de le consoler, et comme entre un sourire et une larme, que, pour prendre sa part de ses maux, elle a ôté son vêtement de flanelle en plein hiver, et que son cœur en est soulagé. La Donna Gentile fut son amie fidèle et la plus constante ; peu à peu Foscolo n’écrivit plus à aucune autre personne en Italie, à la fin il n’écrivit plus même à elle. C’est que la marée montante de ses chagrins et de ses soucis l’avait gagné ; le Flot montait toujours, et il n’avait plus la force d’envoyer