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la chronique, dans la littérature, en quelque sens qu’on le regarde, le poète de Reims a cette bonne fortune d’occuper toujours une position exceptionnelle et instructive, élevée et naturelle en même temps.

Si nous regardons sa position dans l’histoire, nous trouvons qu’il arrive en un siècle étrange, plein de mystères, de drame et d’agitations, ayant un caractère propre et présentant pourtant avec le nôtre les plus singulières ressemblances. Le côté le plus original de ce siècle, c’est la puissance de la bourgeoisie, se montrant dans un double mouvement : énergie et lutte pendant l’affaiblissement de la royauté, jouissance et repos quand cette royauté est solidement reconstituée. Cette puissance atteint son entier développement et ce double mouvement laisse voir ses plus minutieux rouages dans une de ces bonnes villes municipales qui subissent l’entraînement général du siècle et de la nation, tout en conservant leur mouvement de rotation particulière. Et Coquillart naît dans celle de ces villes où la vie municipale est le plus fortement et le plus complètement organisée, dans celle qui a conservé, distincts encore et debout, quoique inclinant vers des destinées différentes, les trois puissances du moyen âge, la royauté, la féodalité, la bourgeoisie. Il naît dans la moyenne bourgeoisie, parcourt tous les degrés qui constituent la hiérarchie de la cité, atteint la plus haute position de l’aristocratie bourgeoise, et le simple développement de sa vie le met en contact avec chacun des trois pouvoirs dont nous venons de parler. Il vient au monde au moment le plus difficile de la première période, la lutte, et il meurt au moment où la période du repos dans la puissance est à son déclin, résumant ainsi en lui l’histoire politique, anecdotique de la bourgeoisie et du siècle.

Si de l’histoire simplement politique nous nous élevons à l’histoire des mœurs et des idées, nul encore mieux que Coquillart ne nous fera comprendre le curieux spectacle de transforma ! ion qui s’opère au XVe siècle dans les mœurs générales et dans les idées de la classe où cette transformation se produit le plus laborieusement. Il a, pour ainsi dire, son berceau dans le moyen âge, sa tombe dans la renaissance ; sa jeunesse s’est écoulée sous l’abri des vieilles mœurs ; les vieilles traditions, qui dorment toujours au foyer paternel, l’ont accompagné jusqu’au seuil de l’âge mûr ; là elles ont rencontré les nouveaux usages, et dans sa vieillesse, il a constaté la victoire des temps modernes. Il nous montre les curieuses tournures, les gestes bizarres, les postures grotesques, les habits extravagans qui distinguaient le monde moderne en sa première fleur, et sa biographie nous aide à retrouver les causes de la défaite de l’ancien âge.

Mais c’est au point de vue littéraire que cette biographie est le plus instructive. La bourgeoisie possède, en ce temps tous les attributs de la souveraineté sociale, et, comme le fait aux différentes époques de l’histoire chacune des classes à qui Dieu accorde tour à tour le gouvernement d’une nation, c’est elle qui forme à sa ressemblance tout le XVe siècle, les idées comme les individus. Elle prend la direction de la littérature, transforme les formules d’art, met en honneur des instincts, des qualités littéraires qui sont en rapport avec ses propres instincts et ses qualités caractéristiques ; elle crée ainsi une école littéraire bourgeoise, et c’est entre les mains des littérateurs de la bourgeoisie qu’elle remet l’amusement et l’éducation du siècle. Seulement la plupart de