Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/987

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partis, mettait discrètement un pied dans chaque camp, et, avec toute prudence, avançait ou reculait à chaque victoire qui faisait pencher la balance tantôt vers les Anglais, tantôt vers le dauphin.

Enfin le vendredi 6 juillet 1429, Charles VII entra dans la ville pour y être sacré, et le spectacle qui frappa alors les yeux des Rémois peut nous expliquer encore un des côtés du talent de Coquillart. Reims, la ville des sacres, la ville aux fabriques de riches étoffes, elle qui, de génération en génération, avait vu passer devant ses yeux les plus brillans costumes de tous les siècles, Reims devait avoir légué à ses habitans l’amour de la splendeur extérieure, et c’est elle qui devait, entre toutes, représenter ce que j’appellerai le côté vivement coloré et brillamment habillé du moyen âge. Son poète est en effet celui de tous les écrivains de la vieille littérature qui prodigue les plus vives couleurs et les plus brillans vêtemens. Il n’oublia jamais ces grands et riches habillemens qui avaient défilé devant ses yeux à l’entrée du roi, ces chevaux couverts jusqu’aux pieds de draps de damas, de satin et de velours de toutes couleurs, brodés et semés d’ornemens d’argent, tous ces seigneurs parés d’écharpes d’or fin et portant des manteaux de velours garnis de pierres précieuses, brodés de houppes de fil d’or ou fourrés d’hermine et de martre zibeline. L’un d’eux ne portait-il pas même une épée ornée de tant de pierres précieuses, qu’elle valait 20, 000 écus !

Ce luxe extravagant était la moralité que la première partie du siècle allait léguer à la seconde, moralité que Coquillart recueillera, et qui sera le résumé de ses poésies. Ce luxe était le résultat de la guerre civile, et c’est le résultat ordinaire : ne faut-il pas que les uns dépensent le butin, que les autres oublient, s’enivrent et jouissent ?


II. – L’ÉDUCATION BOURGEOISE./

Les événemens que nous venons de rapporter, les anxiétés journalières, l’activité fiévreuse de la vie, produisent dans les siècles comme dans les individus deux résultats tout à fait distincts, l’abattement ou l’exaltation, la conçut ration obstinée en soi-même et le retour à Dieu, ou le mépris de la réflexion causé par la conscience de son inutilité et le besoin de la vie frivole. Sous de telles influences, les deux mobiles qui avaient jusque-là dirigé concurremment tout le moyen âge, et qui en expliquent toutes les contradictions, la rêverie et l’activité corporelle, avaient pris au XVe siècle un développement excessif. La rêverie était devenue le mysticisme, qui est son extrême, et c’était là, — c’est-à-dire dans leur exagération et dans leur délire, — que s’étaient réfugiés les sentimens de la vie intime, devenus impossibles dans leur action régulière. De son côté, l’activité physique s’était précipitée dans tous les excès de la vie sensuelle. La fantaisie littéraire n’avait donc à cultiver que ces deux extrêmes, la métaphysique ou l’obscénité. En effet, la bourgeoisie, qui prit en ce temps la direction de la littérature, maria ses propres qualités à ces deux tendances de son siècle, et elle créa ainsi deux écoles distinctes et fort curieuses dans leur exagération réciproque. L’une ne prêcha que la morale la plus pure et la plus convaincue, mais la prêcha lourdement et ennuyeusement ; l’autre ne connut que la brutalité la plus hardie et la plus obscène, et cette brutalité, tantôt triste et plaintive comme l’abattement du