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Tu es rozier qui porte roze
Blanche et vermeille ;
Tu as en ton saint chef l’oreille
Qui les desconseillés conseille
Et met à voie.
Ha ! douce vierge nette et pure,
Toutes femmes par ta figure
Doit-on amer.

C’était par elle en effet, avaient dit tous les poètes du temps passe, par elle seulement que les femmes sont dignes de respect et d’amour ; c’était elle qu’on devait aimer en les aimant, et Dieu sait que jamais à aucune époque, elles n’avaient eu autant besoin de cette pure et resplendissante figure pour y cacher leur honte, pour retrouver derrière cet abri le respect des hommes et d’elles-mêmes. Pourtant en ce siècle où Dieu paraissait avoir fait taire sa miséricorde pour n’être plus que le Dieu sévère et justicier, la Vierge elle-même semblait être devenue grave et avoir abandonné ce pauvre peuple des persécutés, pour lequel elle avait autrefois prodigué tant de miracles. Il doit en être ainsi, le peuple revêt toujours l’objet de son culte des nécessités de son besoin et des formules de son amour. Ainsi, dans les premiers temps du christianisme, dans la première tradition, toujours plus positive et plus réaliste, la sainte Vierge était représentée sous des traits plus en rapport avec l’austérité des premiers chrétiens, sous les traits d’une vieille femme. Elle devint de plus en plus jeune et belle à mesure que s’avançait le moyen âge ; aux XIIe et XIIIe siècles, pendant le temps du respect amoureux et de la pureté de la chevalerie, elle était comme revêtue d’amour ; mais au XVe siècle, la crainte, le besoin d’autorité, la misère lui avaient donné un vêtement de puissance : elle était surtout emperière (impératrice), et elle portait la haute et puissante couronne. C’est ainsi que Coquillart l’avait vue dans sa jeunesse au porche des églises et au coin des rues nouvelles ; pourtant elle était encore la douce dame. Aussi, dans les veillées du soir, c’était après son nom prononcé et ses miracles racontés que venaient, comme un parfum sorti de ce nom virginal, les plus merveilleux récits de la sainte égende dorée, les plus touchans des enseignemens maternels, et c’est dans les lettres de Gerson, dans les naïves réponses de Jeanne d’Arc qu’on peut apprécier la puissance de ces enseignemens.

Parfois aussi, quand la mère s’arrêtait oppressée par quelque pensée soudaine des incertitudes de l’avenir en ce pays désolé, quelque vieille servante, posant discrètement sa quenouille sur ses genoux, racontait au milieu de l’émotion de tous les vénérables légendes de la nation rémoise. Puis le père rentrait ; il avait recueilli sur les armées belligérantes toutes les nouvelles apportées par les espions et les mendians, par les marchands venus en grande frayeur de Liège et de Soissons, par les moines qui parcouraient les divers couvens de leur ordre. On parlait à demi-voix de la politique du conseil, de la mauvaise volonté de quelques-uns, de la frayeur des autres. C’est alors que le bonhomme, se réveillant, rappelait, comme la honte et la leçon du présent, les vieilles traditions politiques et guerrières de la ville de saint Rémy ; mais tout cela était du temps passé : maintenant tout allait de mal en pis