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des choses. En effet, puisque la salure de la Mer-Noire n’est que moitié de celle de l’Océan, on pourrait calculer combien il a fallu de temps pour ce dessalement partiel, sachant que depuis un certain nombre de siècles il se serait opéré une certaine déperdition de salure. En général, tous les lacs à écoulement qui sont traversés par des eaux douces se sont ou complétement dessalés, ou diminuent graduellement leur quantité de sel, tandis que ceux qui n’ont point d’issue, comme la Mer-Morte, la Mer-Caspienne, le lac d’Aral et autres nappes d’eau confinées, voient au contraire augmenter leur salure de plus en plus. Parmi les lacs d’eau douce ou plutôt parmi les lacs maintenant complétement dessalés, on peut citer le lac de Genève, traversé par le Rhône, et le lac de Constance, traversé par le Rhin, et, sur une plus grande échelle, les immenses lacs de l’Amérique du Nord, traversés par le fleuve Saint-Laurent. Entre la Sibérie et la Chine, pour le lac Baïkal, dont les eaux douces sont d’une pureté extrême, la salure primitive et l’origine maritime sont mises hors de doute par la présence de phoques et d’autres animaux marins qui se sont peu à peu acclimatés dans ces eaux devenues graduellement douces. Au contraire la Mer-Morte et le lac d’Ourmiah sont excessivement salés et paraissent augmenter graduellement en matières salines par ce que leur fournissent leurs affluens. L’excès de poids de l’eau de l’Océan étant de 28 millièmes, comme nous venons de le dire, l’eau de la Mer-Morte offre un excès de poids huit fois plus grand, c’est-à-dire 240 millièmes. Quand on pense qu’à l’opposé du Jourdain, la vallée d’El-Ghor, entre cette mer et la pointe voisine de la Mer-Rouge, est bordée par des montagnes de sel deux ou trois fois aussi hautes que notre Montmartre, et qui sont formées de sel comme Montmartre l’est de plâtre, on concevra qu’à chaque saison de pluie les torrens d’eau salée qui viennent s’y perdre y laissent à perpétuité leurs dépôts salins, que n’enlève point l’évaporation, laquelle, comme la distillation, ne sublime dans l’atmosphère que de l’eau parfaitement pure. Pour le lecteur peu habitué aux considérations physiques, je dirai qu’on ne se fait pas une juste idée de l’énorme quantité d’eau que peut enlever cette puissante cause de déperdition. Lorsque, pour la défense des places fortes (comme notamment à Metz en 1813 et 1814), on barre le cours d’une rivière, on se figure qu’on va produire une véritable mer intérieure. L’étendue de la nappe d’eau qui en résulte n’est pourtant que celle d’un vaste étang ou d’un très-petit lac, et si le Rhône et le Rhin, en traversant le lac de Genève et celui de Constance, ne sont pas épuisés par l’immense évaporation de ces belles nappes d’eau douce, c’est qu’ils reçoivent par des sources de fond bien d’autres eaux que celles des fleuves qui les traversent.